L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Irresponsables
de Marc-Arthur Gauthey
Editions de la Rémanence - Traces 2020 /  14 €- 91.7  ffr. / 248 pages
ISBN : 979-10-93552-90-3
FORMAT : 12,0 cm × 19,0 cm

L’auteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française. Il enseigne les lettres et la philosophie à l’École européenne de Karlsruhe. Il est l’auteur de plusieurs essais et articles sur Hervé Guibert et l’autofiction ainsi que de textes plus personnels et intimes comme Les Indices de l’oubli (Éditions de la Reine Blanche, 2019) ou Vivre sans amis (Éditions de la Rémanence, 2020).

À la recherche du père perdu

. «Du mythe d’Œdipe à celui de Luke Skywalker, tout bon psychanalyste de comptoir fait état de la nécessité quasi cosmique de tuer le père pour devenir un homme», déclare le narrateur d’Irresponsables dans les premières pages du roman. Lui, il n’a eu à tuer personne, son père «s’est tué tout seul», chutant de près de deux cents mètres lors de l’ascension du pic du Midi d’Ossau, un jour de novembre 2001. Ainsi, il est devenu homme sans père, lui qui s’apprête à le devenir à son tour. Pour boucler la boucle, il lui faut alors revenir sur l’endroit du drame et dominer cette montagne qui a longtemps plongé sa vie dans l’ombre. Et c’est avec son frère, quinze ans plus tard, qu’il décide de relever le défi.

Cette excursion, présentée sous la forme d’un journal parfois en désordre, contenant lui-même de nombreuses analepses nous plongeant dans l’enfance de l’auteur-narrateur, se transforme en «pèlerinage», en rite qui n’aurait pas de valeur initiatique (la mort d’un père, alors qu’on a quinze ans, se charge de ça), mais celle de l’accomplissement d’un deuil (autant qu’on puisse jamais le faire), permettant la résilience et de «refermer la porte d’une époque le cœur apaisé par le sentiment du devoir accompli». Le lecteur alterne ainsi entre le récit de la randonnée, et celui d’un cheminement à travers les souvenirs du narrateur où se dessine le portrait très touchant de la figure paternelle. De cette manière, l’alpiniste qui cherche à atteindre un sommet haut de 2885 mètres, côtoie «l’archéologue» qui fouille les profondeurs du passé.

Mais l’ascension s’avère difficile pour Pierre, le frère du narrateur. Il est plusieurs fois question d’abandonner, de renoncer. L’expédition est à l’image de ce retour sur les lieux de la disparition du père, de cette échappée dans l’histoire familiale, de cette traversée du temps qui charrie le meilleur comme le pire : c’est compliqué, douloureux, ça fait parfois peur. L’effort n’est pas ici simplement physique, l’enjeu va bien au-delà du seul accomplissement sportif.

C’est cette quête que relate avec beaucoup de sensibilité et de justesse Marc-Arthur Gauthey. Le motif de l’ascension d’une montagne pour exprimer le passage à un autre âge, à une autre étape de la vie, n’est pas nouveau mais il est ici traité avec une grande fraîcheur et surtout, avec beaucoup de sincérité. Le récit de l’auteur-narrateur n’est pas celui d’un dépassement de soi ou de la réalisation d’un exploit. Il est tout simplement l’acte nécessaire qui le fait en même temps advenir comme père et écrivain. Chacune de ces deux nouvelles aventures valent bien celles déjà vécues et promettent, à n’en pas douter, de nouveaux livres…

Arnaud Genon
( Mis en ligne le 25/11/2020 )
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