L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Tailleur de Relizane
de Olivia Elkaim
Stock - La Bleue 2020 /  20,90 €- 136.9  ffr. / 352 pages
ISBN : 978-2-234-08617-3
FORMAT : 13,8 cm × 21,5 cm

La valise ou le cercueil

Olivia Elkaim mêle l’épopée familiale à l’Histoire pour raconter la vie de ses grands-parents paternels, Juifs qui se croyaient Algériens, dont les familles se sont vu assigner la nationalité française avec le décret Crémieux en 1871, alors qu’ils descendaient de Juifs indigènes berbères autochtones. Une nuit d’octobre 1958, alors que les «événements» durent déjà depuis quatre ans, Marcel El Kaim, tailleur à Relizane, petite ville à l’est d’Oran où sa famille est depuis toujours implantée, est enlevé par un commando algérien sur un camion. Le grand-père d’Olivia réapparaît vivant, trois jours plus tard, attisant l’inquiétude et la curiosité de sa famille et de ses voisins par son silence absolu. A-t-il dû collaborer, trahir les siens contre sa propre liberté ? Il reste muet, mais en contrepartie, il doit embaucher un jeune algérien, neveu du chef des rebelles. Marcel comprend, la peur au ventre, qu’il va devoir quitter l’Algérie, son pays natal, car la résistance et le FLN sont bien organisés et tuent facilement.

L’auteure a occulté l’histoire familiale pendant les dix ans de son mariage, saturée du couscous, le vendredi soir, la tribu rassemblée la veille du Shabbat, le folklore juif caricatural, l’accent de Roger Hanin, les films d’Alexandre Arcady, d’autant qu’elle laisse entendre qu’elle était mariée avec un goy, un «Blanc-bec», comme dit Marcel. Mais en plein divorce difficile, elle ressent le besoin de s’approprier ses racines qu’elle tenait éloignées jusque-là, pour se reconstruire personnellement comme ses grands-parents l’ont fait courageusement. C’est une leçon de vie ; par le biais de l’écriture, elle pose des bases solides pour elle et ses enfants. Elle part à la conquête de ses origines avec le désir profond d’être la dépositaire de l’épopée familiale.

En 1962, Marcel et Viviane (au psychisme fragile, originaire de Tlemcen qu’elle regrette amèrement) partent la mort dans l’âme de Relizane tout en gardant les clés au cas où, avec leurs deux garçons, Pierre (le père d’Olivia, né en 1952) et Jean. Ils essaient de survivre au début en «Métropole», d’abord à Angers dans une cave au bord de la Loire, puis dans le Midi. Les pieds-noirs croyaient à l’universalité et à la compréhension de la France à leur égard. Malheureusement pour eux, ils souffrent d'une double peine et sont rejetés des deux côtés de la Méditerranée. «On ne voulait plus d’eux là-bas, on ne voulait pas d’eux ici». Toute une population jetée dans des bateaux et des avions est déracinée, enfants et vieillards compris, sans plus aucun repère dans une France hostile et un exil intérieur violent pour ces pieds-noirs, bouches supplémentaires à nourrir et à intégrer, avec leurs coutumes bigarrées, sans parler du problème supplémentaire des séfarades, dont les traditions sont encore différentes. Marcel, humaniste et généreux, supporte l’hystérie de Viviane, les difficultés matérielles et fait d’une situation désespérée une épreuve de survie.

Le travail de mémoire de l’auteure, par ailleurs narratrice de cette autofiction, est possible grâce au témoignage de son père qui a conservé une pleine valise de documents, photos et clés USB ; il lui offre ce trésor en février 2018. «Celui qui ne sait pas d’où il vient ne sait pas où il va, dit un proverbe algérien. Ma vie retrouve un sens maintenant qu’elle s’inscrit dans cette histoire». Olivia Elkaim agrémente son roman de nombreuses données politiques - la venue de De Gaulle à Mostaganem, avec ses fausses promesses -, géographiques et historiques (le massacre de Sétif le 8 mai 1945), permettant de mieux appréhender les passés imbriqués de la France et de l’Algérie, et de témoigner de la profondeur des traumatismes de plusieurs générations de rapatriés. On n’entend plus beaucoup cet accent caractéristique, les jeunes nés après 1962 ne l’ont plus. L’auteure passe ainsi le témoin à ses fils et aux descendants des pieds-noirs (une expression dont l’origine est incertaine), qui ne doivent pas oublier tout un pan de leur histoire du temps où musulmans, chrétiens et juifs vivaient ensemble dans une certaine harmonie.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 27/11/2020 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)