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Littératureet Romans & Nouvelles  

Comme un empire dans un empire
de Alice Zeniter
Flammarion 2020 /  21 €- 137.55  ffr. / 400 pages
ISBN : 978-2-08-151543-7
FORMAT : 14,8 cm × 22,1 cm

Quels sont ces codes qui nous animent ?...

Le dernier roman d'Alice Zeniter, une fois encore, est un bon roman : charpenté, d'un beau style, conséquent. Une radioscopie fine de la France des années 2018/2019, entre les allées du pouvoir Rive gauche et une ferme bretonne.

Deux personnages, Antoine et L, incarnent cette France de la macronie et des Gilets Jaunes. Antoine est un jeune provincial passé par SciencesPo, Rastignac de Bretagne aujourd'hui attaché parlementaire d'un député socialiste au sein d'un parti en décrépitude. Il projette en parallèle l'écriture d'un ouvrage sur la guerre civile espagnole mais la plume résiste et le temps passe. L, elle, est une jeune beurette plus à l'aise dans le "dedans", les dédales profonds de l'Internet ; hackeuse idéaliste, un rien anarchiste, elle vient de perdre son compagnon, Elias, pirate allemand inculpé et incarcéré, dans l'attente d'un procès. Les chapitres alternent les quotidiens de ces deux anti-héros.

Alice Zeniter use d'une métaphore convaincante pour situer les états d'âme d'Antoine, au coeur d'un triangle dont chaque extrême représente un sentiment : la colère, fierté, la déférence - cette dernière, indispensable pour évoluer dans la curie parlementaire. En suivant cette image, le roman pourrait se situer au coeur d'un autre triangle, entre Aurélien Bellanger, Virginie Despentes et Olivier Adam. Comme un empire dans un empire rappelle en effet ces trois auteurs, leurs marottes, leurs inquiétudes, leurs façons.

De fait, le roman se parcourt avec grand appétit car on aime ces deux personnages qui finissent par se croiser à l'occasion d'une soirée parisienne entre gens de leur génération. Un lien se crée, improbable certes, entre le parvenu au look preppy et la geek à la dégaine de punkette. On aime aussi la peinture brossée de la France du moment, violente, politiquement perdue, socialement déboussolée. Le roman multiplie les tableaux justes de ces sociotopes. Bravo à Alice Zeniter pour cela.

La fin est peut-être moins convaincante, plus expédiée : L, en convalescence dans une ferme bretonne, expérimente, le temps de petites semaines, une autre forme de cité, qui n'est pas celle codée et absconse de l'Internet, ni celle naufragée des périphéries sociales, ni encore la Cour du palais Bourbon où Antoine se maintient à flot. Au final, lequel des empires décrits par l'auteure subit-on, ou bien doit-on choisir ?... La question reste ouverte.

Un roman efficace, juste, convaincant.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 11/01/2021 )
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