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Canción
de Eduardo Halfon
La Table Ronde - Quai Voltaire 2021 /  15 €- 98.25  ffr. / 176 pages
ISBN : 979-10-371-0754-1
FORMAT : 11,5 cm × 19,0 cm

David Fauquemberg (Traduction)

Les fils de la mémoire…

Romancier, né en 1971 au Guatemala, Eduardo Halfon, après une jeunesse aux Etats-Unis, est revenu dans son pays natal, pour y enseigner à l’université la littérature. Il vit aujourd’hui à Forcalquier. Canción peut apparaitre comme la suite de Deuils qui, en 2018, avait reçu le prix Sofitel du meilleur livre étranger.

Eduardo Halfon est un conteur talentueux qui entraîne son lecteur dans des univers lointains, violents, pris par l’absurdité du monde, avec l’humour pour défense. Le récit n’est pas véritablement linéaire, mais plonge au coeur des souvenirs de l’auteur ; passé et présent se succèdent et le lecteur ne peut que suivre, comme au Japon lorsque, lors d'un congrès d’écrivains libanais, Eduardo Halfon narre un épisode de la guérilla guatémaltèque, sans aucun rapport avec les attentes de son auditoire captif.

La figure centrale est celle du grand-père, venu de Beyrouth, qui a assis sa fortune dans le Guatemala de l’après guerre : «Mes grands-parents vivaient dans un palais. A mes yeux, en tout cas, c’était un palais». A la naissance du narrateur, dans les années 1970, le Guatemala vit une situation de guerre civile dont son grand-père fera les frais en étant enlevé un jour par des guérilleros qui le relâcheront contre rançon. Cet événement - central sans l’être vraiment - est le fil du récit.

Eduardo Halfon raconte le Guatemala de cette période troublée, mais également la vie d’un clan familial heureux ; passent des figures féminines, belles et mystérieuses, la cousine Bérénice, la mère de Bérénice à qui l’oncle Salomon lit l’avenir dans le marc de café, avenir dont il ne dira rien ; la Rogeria, belle guérillera, la femme aux marimbas, Aiko la japonaise dont le grand-père est un survivant d’Hiroshima, qui en a gardé à vie la trace dans sa peau. A chacun son grand-père. Celui d’Eduardo Halfon lui a légué son nom et son papier à lettres, son histoire aussi, du moins en partie…

L'auteur déroule précautionneusement les fils de la mémoire, de sa mémoire, de la mémoire familiale, et donne de façon intrigante à ce beau récit le nom - Canción - d’un des kidnappeurs de son grand-père. A rapprocher de la phrase de Baudelaire, mise en exergue : «Il serait peut-être doux d’être alternativement victime et bourreau». Se pose aussi la question de l’identité, dès la première phrase : «J’arrivai à Tokyo déguisé en Arabe».

Un récit habilement mené, qui, par brèves touches, émeut, intrigue, séduit.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 15/01/2021 )
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