L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Humaine comédie
de Richard Millet
Fata Morgana 2020 /  24 €- 157.2  ffr. / 256 pages
ISBN : 978-2-37792-073-0
FORMAT : 14,7 cm × 22,6 cm

Gens du Limousin

Après son éviction de chez Gallimard pour avoir, non pas défendu mais analysé la tuerie d’Anders Behring Breivik survenue à Utøya le 22 juillet 2011, Richard Millet (né en 1953), alors écrivain reconnu et puissant éditeur dans la même maison, devenait le paria de la littérature, suspecté d’intelligence avec l’ennemi. Grand écrivain, pamphlétaire impitoyable, critique des dérives du progressisme et de l’antiracisme, du relativisme culturel, de l’effondrement de la culture, Millet continue de publier abondamment dans des maisons plus souterraines sans plus aucun appui du système médiatique. Pire, certains de ses amis écrivains l’ont renié !

Les éditeurs qui le publient font certes œuvre de courage mais savent qu’un grand écrivain ne doit pas disparaître d'une production littéraire de plus en plus insignifiante. A raison de quatre livres par an environ, Millet continue une œuvre abondante, extrêmement diverse, dans laquelle le travail sur la langue, l'expression d'un désir contrarié pour les femmes et l'exigence de l’authenticité restent des leitmotivs obsessionnels.

Dans Humaine comédie (Balzac est assurément le grand romancier pour Millet), l’auteur se renouvelle dans un genre peu fréquenté jusqu’ici, en cent portraits qui constituent un roman corrézien sans intrigue, ni trame, mais une succession d’historiettes mettant en scène des personnages, voire des narrateurs de tout bord, de tout sexe, alors même que seule la voix de Millet résonne. Peu accessible pour les amoureux de narration figée et en même temps tour de force littéraire, ce livre renouvelle à la fois le genre de la comédie humaine tout en prétextant l’exercice de style.

Tout Richard Millet renait ici, dans les cendres d’une époque révolue (déjà plus que pointée du doigt dans Ma vie parmi les ombres il y a 17 ans) : la puissance du langage qui évoque les senteurs, les suintements, les brutalités, les résonances d’un monde fini (en l’occurrence, le Limousin) mais aussi l’obsession pour le corps féminin (qui se résume souvent à la sexualité, au désir qui terrasse, à la volupté terrifiante voire à la bestialité ultime ; enfin surtout à cette impossibilité tragique qui laisse un homme démuni face à la beauté féminine) et la trivialité des mécanismes du corps (odeur, sueur, déjections, râlements), font du «style Millet» une écriture à la fois naturaliste et sensualiste. Cet écrivain, tout autant qu’il raisonne, parle à son lecteur de ces troubles digestifs... et affectifs…

Certes, le lecteur peut perdre ses repères tant l’accumulation de détails, de scènes, et de personnages plus ou moins réels envahit une narration centrée sur elle-même. Mais le langage est un tout et Millet continue cette recherche du temps passé avec des moyens littéraires modernes, un style teinté de classicisme (même si le terme «texto» sonne le glas à ce monde déjà mort). Rien ne se perd car tout se transforme. Le «tableau des mœurs de ce temps» est dressé. Et le Limousin renaît sous les violentes évocations de Millet, l’écrivain déchu, qui raconte la beauté de la vie sous le joug de sa torpeur, de sa solitude, de son impossibilité tragique.

Simon Anger
( Mis en ligne le 03/02/2021 )
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