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Littératureet Romans & Nouvelles  

Des chrysanthèmes jaunes
de Rafael Reig
Métailié - Bibliothèque hispanique 2021 /  22 €- 144.1  ffr. / 350 pages
ISBN : 979-10-226-1086-5
FORMAT : 14,0 cm × 21,6 cm

Myriam Chirousse (traduction)

Un grand avenir

L’Espagne à la veille de la mort de Franco : un pays encore cadenassé, où la mémoire de la guerre civile pèse sur tous, plus ou moins lourdement. C’est dans cette Espagne là que Pedro Ochoa est né et a grandi… mais dans le mauvais camp : un père braqueur de banque, une mère complice. Passé le drame (mort de la mère, arrestation du père), c’est la case orphelinat pour cet enfant de «criminels», «ennemis du régime», que les sœurs de la SAFA vont rééduquer à la dure. Une première enfance qui laisse des traces, parfois heureuse (les copains), parfois triste ; avant que des grands-parents franquistes convaincus n’acceptent de s’occuper du petit-fils maudit, témoignage de l’erreur de leur fille chérie.

Car entre-temps, le dictateur est mort et l’Espagne peut réapprendre à respirer. Changement de milieu, donc pour Pedrito : découverte de nouveaux mondes (la classe moyenne conservatrice et rance du franquisme, la haute bourgeoisie planante ou en crise, l’école publique et bientôt mixte, les «filles», etc.). Grâce à l’amitié de l’extraordinaire Carlon, un Mycroft Holmes adolescent, Pedro avance dans la vie et dans son histoire, menée comme une enquête policière. C’est le moment de l’adolescence puis de l’âge adulte, de la réalisation du «grand avenir», d’une richesse facile, mais aussi de drames de l’ère précédente, qui se soldent alors, à commencer par quelques scandales impliquant l’Eglise. Dans un Madrid en pleine movida, Pedro fait son éducation politique, amoureuse, culturelle… jusqu’à devenir cet homme désormais confronté à un crime, et qui, dans son récit, reconstruit aussi son parcours à titre de justification, comme on prépare une plaidoirie.

Etonnant et dense, ce roman, magnifiquement traduit, tente de restituer un climat bien particulier, entre fin de guerre civile et libération sous contrôle. La galerie de portraits est très fouillée, très développée, depuis les soeurs lubriques de la SAFA jusqu’à la famille ultrachic de Carlon, en passant par les copains, les amis politiques, les grands parents sinistres, le milieu hippie, etc. Au passage aussi, une sainte vierge qui apparaît périodiquement à Pedro sous les traits d’une pin-up andalouse, un amour de jeunesse oscillant entre prostitution et contre culture, quelques amis ayant plus ou moins bien tournés (plutôt moins) et une collection de prêtres défroqués et de bonnes sœurs perverses, qui témoigne de la persistance des camps depuis 1939. Bref, une véritable «auberge espagnole» qui donne de la transition démocratique une image à la fois complexe, chaotique même, et passionnante. Entre les considérations sur la sexualité enfantine, les réflexions sur le franquisme et sa mémoire, ou encore sur ce que c’est que de venir de «quelque part»… un grand roman de formation à l’ombre d’un grand roman sur l’Espagne moderne.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 12/02/2021 )
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