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Ce monde est tellement beau
de Sébastien Lapaque
Actes Sud - Domaine français 2021 /  21,80 €- 142.79  ffr. / 333 pages
ISBN : 978-2-330-14380-0
FORMAT : 14,7 cm × 24,0 cm

Vers la lumière

Romancier, chroniqueur littéraire, Sébastien Lapaque (né en 1971), avec Ce monde est tellement beau, a écrit un roman profondément original dans la production littéraire actuelle. Son originalité ne provient pas tant de l’écriture, très classique, que du sujet. Un sujet banal en apparence, mille fois rencontré : le récit d’un narrateur qui comprend du jour au lendemain que sa compagne l’a abandonné et qui cherche à se remettre de cette rupture. Mais cette lente reconstruction suit un chemin peu emprunté en 2021 : celui de la conversion au catholicisme. Lazare - au prénom prédestiné (les prénoms ont beaucoup d’importance dans ce récit) - va connaître une mort symbolique lorsque sa compagne, Béatrice, avec laquelle il lui semblait couler des jours sinon enthousiasmants, du moins sereins, le quitte sans un mot d’explications pour se réfugier chez ses parents.

Âgé de quarante ans, Lazare est un professeur d’histoire-géographie satisfait de son sort, de son lycée, de ses élèves, de certains de ses collègues auxquels l’unissent des affinités électives. Il chemine tranquillement, appuyé par deux amis plus âgés, Walter, qui a quitté l’enseignement et vit à Versailles avec femme et enfants, et Saint-Roy, professeur de philosophie dans son lycée. Saint-Roy qui fait lire à ses élèves Dostoïevski ou Kafka, et remarque : "Je m’en fous, du programme, j’apprends simplement à mes élèves à dire : «ça pense en moi»". Le non-conformisme est le fil rouge de ce long récit dont Lazare est le narrateur.

Lazare comme Béatrice sont issus de ces familles de la classe moyenne qui a réussi durant les Trente glorieuses ; leurs pères ont voulu transmettre à leurs enfants leurs ambitions, traduites en réussite matérielle, ce qui se solde par une réussite pour Béatrice, du moins jusqu’à son choix de Lazare comme compagnon, et par un échec total pour ce dernier, satisfait de son sort en dépit de l’image lamentable du professeur dans notre société.

Sébastien Lapaque s’interroge d’ailleurs de façon intéressante sur cette situation faite aux enseignants, et la façon dont ceux-ci vivent leur quotidien dans une société qui souvent les méprise. «Mais il y avait encore des professeurs obstinés, des gens passionnés par un métier qui n’était pas une simple fonction sociale ou économique, mais une vocation au sens le plus fort de ce mot, la réponse à un appel et l’une des plus urgentes missions de la civilisation». Désormais seul, Lazare a la révélation qui va guider sa vie et sa reconstruction : «Le monde entier est devenu un gigantesque éclat de rire. Etrange, ce hennissement sec et mécanique, sans liens véritables avec la vie. C’est un rire triste».

Pourtant le roman commençait sur la note optimiste qui lui donnait son titre : «Ce monde est tellement beau, cependant». Cette révélation de la laideur qui l’envahit - catastrophes naturelles ou non -, Lazare sait la nommer : «L’Immonde» qui joue sur le contraire du monde avec le préfixe im et la noirceur profonde de la signification du terme immonde. Dans cette noirceur qui s’impose à lui brutalement, une jeune femme, dotée également d’un prénom prédestiné, Lucie, va l’aider à voir le jour et la lumière. Elle aussi fait partie des «inutiles» de la société, chercheuse en ornithologie, spécialiste de la disparition des moineaux.

En trois parties - L’Immonde, La Promesse, La Joie -, Lazare va opérer une reconstruction non sans croiser la mort à plusieurs reprises dans son entourage proche. La rédemption vient de l’aide fournie par de véritables amitiés, de révélations venues d’horizons divers : Denis, un ami juif coach en bonheur, Odon, un moine cistercien, Xavier bûcheron paysan, le frère de Walter. Le chemin vers la rédemption passe par la découverte de la force et de l’intelligence de la nature dans la forêt bretonne…

Un roman dont le ton rompt délibérément avec l’air du temps… et les préoccupations contemporaines.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 15/02/2021 )
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