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Littératureet Romans & Nouvelles  

Une saison douce
de Milena Agus
Liana Levi 2021 /  16 €- 104.8  ffr. / 176 pages
ISBN : 979-10-349-0369-6
FORMAT : 14,0 cm × 21,0 cm

Marianne Faurobert (Traduction)

Les envahisseurs…

Le public français a découvert la romancière sarde Milena Agus avec Mal de pierres en 2007. Depuis, elle a régulièrement publié aux éditions Liana Levi, faisant entendre une voix discrète et originale.

Ce dernier texte, Une saison douce, porte bien son titre. Douce est la voix de la narratrice qui demeure anonyme, même si la saison elle-même est plutôt rude puisque c’est sous un déluge de pluie que débarquent les «envahisseurs». Un troupe hétéroclite, puis ou moins encadrée par des humanitaires, à qui un bureau lointain a accordé une maison délabrée et abandonnée au coeur d’un village sarde déclassé en hameau. Des "Noirs", des arabes, des musulmans, des chrétiens, toute une population venue d’horizons divers, réunie par le malheur de l’exil.

Le moins que l’on puisse dire est que l’accueil est réservé, voire carrément hostile. Dans ce village pauvre déserté par la population jeune, partie émigrer vers des villes lointaines et qui ne donne plus guère de nouvelles, l’arrivée de ces nouveaux pauvres apparaît comme un malheur et une menace supplémentaire sur un fragile équilibre de vie. Une vie dominée par la tradition, qui semble avoir peu changé au cours des siècles.

Les premières à faire un geste sont les deux «dames» du village, donna Ruth et sa fille Lina, veuve et fille de l’ancien maire, qui vivent recluses dans la plus belle maison dont les habitants imaginent qu’elle recèle une opulence, ce qui sera vite démentie. Milena Agus, par petites touches, fait évoluer le regard que la narratrice porte sur les envahisseurs et sur ses voisins ; elle montre la solidarité qui se met timidement en place, les rencontres qui s’esquissent, les expériences partagées : la construction d’un jardin potager et verger, les tablées autour des plats traditionnels des uns et des autres, les découvertes mutuelles qui permettent de s’apprivoiser. Face à cette société qui se crée : les réserves, la frustration d’habitants du village décidés au refus.

Tout au long du récit, les acteurs restent anonymes, à part quelques uns ; dans le camp des «envahisseurs», les motivations des uns et des autres divergent, certains acceptent ce provisoire et l’aménagent, d’autres, les «Noirs», ne songent qu’à le fuir pour aller au-delà, «en Europe». Vers une «Europe» qu’ils vivent et imaginent comme un pays de cocagne leur permettant de soutenir la famille restée au pays ; s’opère alors un parallèle entre les villageois sardes dont les enfants sont eux aussi partis vers un meilleur lointain et incertain, et ces pauvres venus d’au-delà des mers. Deux groupes de déclassés…

Le roman est construit comme une tragédie antique avec en incipit l’énumération des divers personnages : les «autochtones», les «envahisseurs». En fond de toile : l’Iliade qu’une humanitaire, Tantine, fait travailler chaque jour par téléphone à son neveu. L’Iliade dont le récit quotidien rappelle aux uns et aux autres que la guerre accompagne l’histoire de l’humanité même si elle est stérile…

Un court roman qui, situé dans un endroit bien précis - ce minuscule hameau sarde au nom ignoré -, parle d’universel.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 26/02/2021 )
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