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Littératureet Romans & Nouvelles  

Les Vilaines
de Camila Sosa Villada
Métailié - Bibliothèque hispano-américaine 2021 /  18,60 €- 121.83  ffr. / 204 pages
FORMAT : 14,0 cm × 21,5 cm

Laura Alcoba (Traduction)

Le monde du désir

Camila Sosa Villada, née en 1982 sous le prénom de Cristian, décide à l’adolescence d’assumer au grand jour son identité transgenre malgré les menaces de son père. Elle quitte sa famille et son village pour la grande ville du Nord de l’Argentine, Cordoba, où elle suit des études universitaires de communication et se prostitue la nuit pour subvenir à ses besoins. Vingt ans plus tard, après un parcours douloureux, elle est actrice, écrivaine et chanteuse. Dans Les Vilaines, elle revient sur sa jeunesse, ses expériences de fille trans dans le parc de Sarmiento, sombre refuge pour une communauté singulière.

Le récit invoque une sainte populaire en Amérique du Sud, continent très pieux où les mythes indiens se mélangent à un christianisme teinté de superstition : Deolinda Correa, dite la Difunta Correa, partie à la recherche de son mari disparu pendant les guerres civiles d’Argentine au XIXe siècle, et retrouvée morte dans le désert avec son bébé vivant. Par une nuit glaciale, les transsexuelles du parc entendent les pleurs d’un nourrisson, abandonné dans les buissons. La Tante Encarna, matrone protectrice du petit groupe, emporte le bébé dans sa maison rose et va l’élever, aidée par les «filles», malgré l’homophobie ambiante.

Camila, auteure et personnage de cette autofiction, trace le parcours chaotique de ces corps d’hommes à l’esprit féminin, satisfaisant les fantasmes des clients, obscurs objets de désir et de honte. «Les trans se pendent, les trans s’ouvrent les veines. Les trans souffrent, au-delà même de la mort, elles souffrent des regards curieux, des interrogatoires de la police, des ragots des voisins». Récit glaçant sur la violence à l’encontre des personnes transgenres en Amérique du Sud, où leur espérance de vie ne dépasse pas trente-cinq ans, souvent à cause des maladies comme le SIDA, ce témoignage nous éclaire sur les conditions sordides de survie face à l’ostracisme terrifiant d’une société très machiste, d’autant plus méprisante que ces hommes se travestissent en femmes. Elles sont intérieurement en souffrance vis-à-vis d’elles-mêmes et des autres. Comment construire son identité prise entre deux genres ? La notion de «métamorphose», mythologie propre à l’univers trans, se retrouve dans le réalisme magique, caractéristique des auteurs sud-américains, qui banalise l’étrange et le mêle au réel. Marie, sourde muette, se voit pousser des plumes et devient un oiseau, des hommes sans tête parcourent le récit, Natali, les soirs de pleine lune se transforme en louve-garou et doit être enfermée dans sa chambre.

Camila se prostitue par nécessité financière ; elle abandonne le monde glauque de la nuit dès qu’elle triomphe au théâtre où elle mêle le récit de sa jeunesse à des textes de Garcia Lorca. Dans ce premier roman, elle associe la mort et la cruauté. Le refrain des Vilaines se veut provocateur : «Être trans, c’est une fête» ; comme un cri de détresse et de défi. «Leur corps est leur patrie». Une grande leçon de courage.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 16/04/2021 )
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