L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Présents antérieurs
de Jean-Philippe Moinet
Cent Mille Milliards 2021 /  15 €- 98.25  ffr. / 152 pages
FORMAT : 12,0 cm × 19,0 cm

Passé recomposé

Jean-Philippe Moinet délaisse ici l’actualité politique et sociétale, et propose un court recueil de sept nouvelles mêlant la fiction et l’autobiographie. Mais où commence la fiction ? Au lecteur de deviner, que l’auteur promènera avec plaisir.

Jean-Philippe Moinet se retourne sur quelques étapes de sa vie avec le souci de la transmission à ses enfants, pour que le souvenir demeure. Quoi de plus triste que de n’avoir qu’une image floue et imprécise de ses racines ? Pour lui, c’est le bon moment. Il livre ainsi un peu de sa personnalité (pas assez ?) au lecteur. Homme de communication, par les journaux, la télévision, il manie aisément les débats intellectuels. Il a créé en 2007 la Revue Civique, rassemblant experts et observateurs de la vie politique. Mais ici ce compagnonnage cède la place à l’autofiction, à la création. Est-ce à cause de l’éducation militaire et stricte d’un père officier - «Il valait mieux alors se taire, battre en retraite, tactique» -, une mère réservée ? Il semble toujours hésiter sur cette ligne qui le sépare d’une introspection désinhibée et spontanée, tout en retenue. Il ouvre «le tiroir des petits riens» et invente une histoire romantique de clé magique qui ouvre au personnage un univers idyllique.

Dans les deuxième et troisième récits, le passé réapparaît avec la maison familiale où le souvenir nostalgique de ses parents est vif, avec une impression de non dit : «Mais parfois poursuivi par un mal intérieur. Le poids trop lourd du passé. Le silence peut accabler». Il est fasciné par sa ville natale, Oran, ville déjà orientale, qu’il ne connaît pas mais qu’il voudrait découvrir avec ses enfants pour partager ses émotions. Les moments les plus heureux de son enfance, il les vivait, libre, dans la Somme où il a découvert pour la vie la passion de la pêche.

L’évocation de ses souvenirs professionnels, son métier de journaliste dans lequel il a laissé beaucoup de ses illusions, le rend plus indulgent, conscient du caractère devenu éphémère de l’information, quand un événement chasse rapidement le précédent et interdit toute analyse profonde, comme sur une ardoise magique effacée à volonté. La rapidité du temps médiatique réduit la profondeur de la pensée intellectuelle et politique. Dans une optique différente, la Revue Civique permet une analyse plus rigoureuse.

Les deux dernières nouvelles évoquent un possible renouveau : à la fin de la saison d’été à la campagne, le vacancier essaie de garder les sensations de chaleur et de bien-être, son état d’âme harmonieux et serein, pour la rentrée parisienne. Il faut mettre en conserve le bonheur de l’été, garder son «soleil intérieur». La dernière nouvelle, la plus belle, ouvre grand le champ de la spiritualité et de la révélation, même si le sens en demeure mystérieux. Un court séjour dans l’abbaye de Bonneval en Aveyron permet à un homme de prendre conscience de la vacuité de sa vie et de renaître, différent : «Toute rencontre est un partage».

«Les sentiments n’ont pas de frontière. C’est la saveur de l’humanité et sa chance de ne pas se laisser enfermer dans les petites catégories des espaces et des apparences». Un recueil très agréable, à lire aussi entre les lignes, pour deviner des fissures dans l’armure forgée par un homme et sa vie.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 26/04/2021 )
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