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Littératureet Romans & Nouvelles  

Les Fils du pêcheur
de Grégory Nicolas
Les Escales 2021 /  20 €- 131  ffr. / 224 pages
ISBN : 978-2-36569-654-8
FORMAT : 14,0 cm × 22,5 cm

Mon père, ce héros

. «Du jour où il a décidé de fonder une famille, notre père s’est refusé à repartir à la «grande pêche», celle qui lui faisait quitter la terre pendant des jours, pendant des semaines, pendant des mois».

Pierre le narrateur, Julien et Clément sont les trois fils de ce marin pêcheur au destin fracassé dans un naufrage. Au fil du récit, le lecteur s'immerge en Bretagne, où la mer dompte les hommes, et sont tus les secrets de famille. Jean, le père, marin dans l’âme depuis son adolescence, sur son bateau coquillier blanc et bleu, fut emporté par une vague géante alors qu'il essayait de regagner le port, et disparut en mer. Son équipier, Khalid, Sénégalais vivant ici en clandestin depuis 1996, est miraculeusement sauvé et peut raconter les circonstances du drame. Au même moment, Pierre apprend qu’il sera bientôt père d’une petite fille. Il décide d’écrire le roman familial, un récit qui court sur près d’un demi-siècle, l'histoire d’une famille aimante et soudée dans les rires et les drames.

Le pêcheur est fils d'un gendarme originaire de l’Argoat, pays d'arbres au centre de la Bretagne. Après avoir fait son service militaire à l’Arsenal de Brest, les mains dans le cambouis, sa vocation de naviguer est intacte, lui qui rêvait d’embarquer sur la Jeanne d’Arc, le baluchon sur le dos ; il apprend tous les codes, les rituels et les chants des matelots, avec sa voix si juste.

Le roman tient des accents de récit initiatique pour Jean, et de chronique familiale pour l’ensemble de cette tribu. Le texte égraine quelques repères historiques comme le naufrage de l’Amoco Cadiz en 1978, ou l’arrestation et la mort de Mesrine par le commissaire Broussard à Paris en 1979, qui décide Marie-Lou, la mère, à quitter la capitale trop violente et à retrouver sa Bretagne natale.

La solide histoire d’amour entre les parents du narrateur et de ses frères accentue la tristesse du naufrage de l’Ar c’hwil, porteur d'une nouvelle veuve de la mer. Pour pouvoir commencer leur deuil, les proches de Jean le remplacent par une croix de cire et dispersent en mer une couronne de fleurs. Les trois fils, en évoquant Jean, reconnaissent qu’il éprouvait une mystérieuse mélancolie dont ils ignorent la cause, même si chacun a son idée. Peu après la disparition, Benoit Notre Dame rend visite à la famille réunie ainsi qu’il les en a priés. Cet inconnu va leur raconter sa relation avec Jean, révélant un aspect ignoré de la personnalité du père. Le roman prend alors un tournant inattendu, poignant, et prouve que chaque être humain a sa part de secret même pour ses plus proches. La chute du récit est émouvante et d’une grande humanité.

La force et la grâce du roman tiennent dans l’émotion vraie, parfois retenue, et la belle écriture de Grégory Nicolas, qui saisit les sentiments humains. «Je lui en voulais de ne nous avoir rien dit, je lui en voulais de nous avoir menti, de s’être servi de la mort de son père, de son absence, son manque pour justifier son mal-être et ce regard mélancolique que je croyais être celui de l’enfance perdue, alors que c’était celui tout aussi tragique de la culpabilité».

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 17/05/2021 )
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