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Littératureet Romans & Nouvelles  

La Force du passé
de Sandro Veronesi
Plon - Feux croisés 2002 /  18 €- 117.9  ffr. / 238 pages
ISBN : 2-259-19385-4

Quand le passé n'est plus certitude

La vie romaine de Gianni Orzan, trente-sept ans et auteur de jeunesse à succès, s’écoule paisiblement entre sa femme et son fils, Francesco. En apparence. Ainsi, en déplacement en province où il reçoit un prix littéraire, Gianni donne brusquement le chèque de récompense que l’on vient de lui attribuer à une jeune femme de l'assistance, dont l’enfant est malade. Quel est le sens de ce geste insensé ? De retour à Rome et en quête la faille secrète qui expliquerait son comportement, Gianni est abordé par un personnage inquiétant : un chauffeur de taxi armé conduisant une voiture volée. C’est alors que le prétendu taxi s’enquiert de son fils, au sujet duquel il connaît des détails troublants. Paniqué, Gianni s’échappe de la voiture et emmène sa famille loin de la capitale.

Revenu à Rome, seul, pour tenter de démêler les fils d’une succession de faits mystérieux et apparemment sans liens, l’écrivain, à nouveau alpagué par le taxi, va peu à peu entrevoir des vérités bouleversantes. Décidément très renseigné, ce dernier lui révèle que son père récemment disparu, qu’il croyait général de l’armée italienne acquis aux idées fascistes, était un espion de l’ex-URSS. Et les découvertes de se succéder, Gianni se heurtant aux secrets de sa femme qui, en avouant l’adultère, brise sa conception de l’amour, du couple, de la vie. Sous le choc de ces différents coups de boutoir, notre homme est victime d’un accident de vespa, métaphore de son implosion morale.

Et l’on s’interroge : Gianni "savait"-il ? Non pas le détail (la double vie de son père, de sa femme, etc.) mais que l’on est toujours rattrapé par le passé – le sien, celui des autres ? N’était-il pas mû par cette intuition lorsqu’il a décidé de retourner à Rome ? Plus que la précision et la justesse de la description des états d’âmes, l’auteur excelle dans le subtil "raccordement" de ces derniers à une méta-histoire, liant inexorablement l’existence de Gianni aux actes et paroles d’étrangers connus (son véritable père, la femme qu’il a épousée, etc.) Dans une Rome de clichés (vespa, gelati et étés azuréens), le décor de la vie de Gianni est voué à s’effondrer. Puis à se reconstruire. Mais avec le sentiment nouveau de la précarité, de la perte de l’innocence.

L’imaginaire du cinéma imprègne l’atmosphère de ce livre et lui transmet un peu de sa magie. Il participe à la création d’un sentiment de décalage, d’artifice et de brumes qui peu à peu vont se dissiper. Et le passé persiste, à l’image de la présence des acteurs de l’après-guerre dans l’imagination de Gianni… La Force du passé est un des livres contemporains les plus lus en Italie, que la presse transalpine célèbre à l’envi – avec raison : il serait en effet dommage de passer à côté de ce petit bijou impressionniste.

Vianney Delourme
( Mis en ligne le 21/03/2002 )
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