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La Méridienne
de Denis Guedj
Seuil - Points 2008 /  7.50 €- 49.13  ffr. / 379 pages
ISBN : 978-2-7578-0969-3
FORMAT : 11x18 cm

Première publication en octobre 1999 (Robert Laffont).

De la mesure des Lumières

24 juin 1792. En ces dernières heures vespérales de la Royauté, qui s'annoncent comme l'aurore de la Révolution, l'Assemblée législative mande, avec l'approbation du Roi, deux astronomes : Pierre Méchain et Jean-Baptiste Delambre, pour qu'ils traversent la France de part en part et entreprennent de mesurer le méridien de Paris, dit la Méridienne, prélude à la détermination du mètre étalon.

Ainsi, sous l'égide de Condorcet, le philosophe des Lumières et de l'Encyclopédie, de Lavoisier, chimiste réputé, et du physicien Borda, les citoyens Méchain et Delambre arpentent le territoire français en traçant une ligne imaginaire reliant Dunkerque à Barcelone, à l'aide de nouveaux instruments géodésiques. Deux voyages en direction contraire (Méchain et son assistant Tranchot partent vers le sud à destination de Barcelone tandis que Delambre et Bellet se dirigent vers le nord), deux arpenteurs pour une même quête de perfection. Rodez ayant été choisie comme ville de ralliement, chacun se fait fort d'être le premier à gagner le terme de ce saint Graal métrologique.

Ce faisant, tels deux Sisyphes élus, éperdus de calculs, ils se hissent sur les points culminants rencontrés au cours de leurs périples : clochers, tours, sommets et autres pics. Lorsqu'ils ne sont pas obligés, ironie de l'histoire, d'ériger des "échafauds" pour pallier les faiblesses du relief en ces temps de guillotine et de sciures de bois ! Tour à tour arrêtés et pris pour des émigrés royalistes par les sans-culottes, pris également pour des espions à la solde de l'Espagne ennemie ou recherchés par le Comité de Salut public pour avoir signé une pétition en faveur de la libération de leur camarade Lavoisier, injustement emprisonné, Méchain et Delambre doivent se jouer des convulsions de l'Histoire.

La traversée du territoire est donc aussi une traversée du Temps. Commencée au crépuscule de la Monarchie, la mesure s'achève à l'aube du Consulat et aura duré ce que dura la République : sept années de troubles au gré desquelles Méchain sera ballotté tandis que Delambre se réalisera, pour finir tout auréolé de gloire. C'est que Méchain est un être tourmenté, un savant à l'humilité ambitieuse, sans cesse en proie aux affres du doute. Pourquoi veut-il à tout prix retourner à Barcelone pour refaire des mesures que tous ses collègues jugent excellentes ? Aurait-il commis une erreur de calcul ? Ou serait-il écrasé par l'immensité de la tâche qui lui incombe : accoucher d'une nouvelle mesure "pour tous les temps, pour tous les hommes", selon le mot de Condorcet ?

Quitter l'ère du "deux poids et deux mesures", symbole même de l'inégalité, pour entrer dans celle de l'unité, de l'uniformisation, et qu'il n'y ait plus qu'une "aune, qu'un pied, qu'un poids, qu'une mesure". "Réinitialiser le monde", tel est l'enjeu de cette formidable mission, témoin de ce nouveau commencement des temps érigé par la Convention nationale : "On était le 5 octobre 1793 quand le soleil se leva et lorsqu'il se coucha, on était le 14 Vendémiaire an II". Ainsi, la Révolution peut instaurer un système de mesure unique et uniforme qui assurera désormais la facilité et l'intégrité des échanges commerciaux. C'est qu'aux yeux du révolutionnaire, le crépuscule est porteur de lumière plutôt que de désespoir !

A travers cette folle épopée du Mètre, Denis Guedj révèle une Révolution à la fois tragique et généreuse, mue par un formidable élan de l'esprit (celui des Lumières) ayant pour grand dessein de remodeler le monde. Ces pérégrinations épistémologiques constituent la trame d'un récit, qui se déroule littéralement comme un véritable fil d'Ariane sur plus de mille kilomètres, reliant les hommes à l'unité de mesure universelle. Denis Guedj réconcilie ainsi, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, fiction et vérité tant il s'abreuve à la source de l'Histoire pour tisser un récit imaginaire qui se mesure à l'aune de la vérité scientifique et historique, comme en témoignent les nombreux documents authentiques livrés à la fin du roman.

Quand on sait que La Méridienne fut un scénario primé avant de devenir un formidable roman, on ne peut s'empêcher de regretter avec l'auteur qu'il n'ait été porté à l'écran, même si ce dernier avoue non sans humour avoir pris depuis... "la mesure des choses"!

Steven Barris
( Mis en ligne le 12/11/2008 )
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