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Guide triste de Paris
de Alfredo Bryce Echenique
Métailié - Bibliothèque hispano-américaine 2003 /  16 €- 104.8  ffr. / 192 pages
ISBN : 2-86424-475-6
FORMAT : 14 x 22 cm

Titre original : Guía triste de París (1999). Traduit de l’espagnol (Pérou) par Jean-Marie Saint-Lu.

A lire aussi :
Un monde pour Julius. Titre original : Un mundo para Julius (1970). Traduit de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan. Editions Métailié. 504 pages. 13,5 euros.



Un guide triste et un monde à découvrir

Triste, ce guide de Paris ? Plutôt nostalgique, d’une ville et d’une jeunesse qui ne sont plus. Alfredo Bryce Echenique livre avec bonhomie ses souvenirs du «Paris canaille», attachant et révolu, qu’il a connu dans les années soixante. Soit quatorze nouvelles sur des exilés latino-américains dans la ville qui les fait tant rêver. Il y a cet écrivain qui n’écrit pas, tiraillé entre sa femme, vulgaire et sans fantaisie, et l’horrible chat noir auquel il s’attache plus que de raison. Il y a ces deux amis vaguement artistes, laids et affamés, qui se font passer pour des terroristes internationaux de haut vol afin de se faire payer des verres à la terrasse du Flore. Il y a un vieillard qui agonise en se repassant ses amours et ses cours d’allemand, dans la remarquable dernière nouvelle du livre.

On reconnaît la touche Bryce Echenique dans ce vacarme d’adverbes improbables, de digressions et de phrases sans queue ni tête qui zigzaguent et se perdent comme à l’oral. Observons l’embarras de ce professeur qui accueille sans enthousiasme les efforts d’un étudiant noir et péruvien : «ce gros Allemand rubicond et tomate, campagnard et résident éterno-ruralo-grafrathien» chez qui «une présence si congolaisement péruvienne, cet été-là, c’est-à-dire tout cet été-là, exacerba un fort processus d’acidité, de gastrite, d’aryo-rictus et de Weltanschauung complètement sens dessus dessous». Hélas, ces coups d’éclat ne suffisent pas à convaincre sur l’ensemble du recueil. Racontées de vive voix, ces histoires pourraient ravir l’audience d’un dîner où l’on reste longuement à table. Compilées dans un livre, elles pèchent par inconsistance, et on a parfois la fâcheuse impression de se retrouver face aux fonds de tiroir d’un grand écrivain.

Car Bryce Echenique a fait beaucoup mieux, et on aura l’occasion de le vérifier avec Un monde pour Julius, remis en circulation à l’occasion de la sortie de Guide Triste. Ce brillant premier roman d’inspiration autobiographique est régulièrement cité parmi les œuvres clés des lettres hispano-américaines du XXe siècle. Enfant de la haute bourgeoisie de Lima, Julius grandit écartelé entre sa famille de beaux et riches joueurs de golf et leur cortège de domestiques, lesquels compensent la misère de leurs propres vies en se dévouant au service de l’univers doré des maîtres. De façon lente et précise, le livre met à nu l’arrogance insouciante des uns face à la détresse des autres, plaçant le petit Julius en témoin silencieux de ce conflit sentimental entre des classes sociales qui ne luttent même pas. La différence entre les destinées des femmes qui entourent l’enfant suffit à illustrer l’horreur sournoise du monde qu’on lui apprend. Susan, sa maman adorée, bâtit son existence sur la recherche du plaisir et fait taire les petites poussées de souffrance qui menacent sa vocation de poupée de luxe. Détail délicieux, elle n’est jamais nommée sans dire qu’elle est jolie. Vilma, sa bonne aux petits soins, est une métisse appétissante que l’on viole en cachette et que l’on congédie ensuite avec une indemnisation et beaucoup de peine, mais sans pitié. Quittez donc Paris, et laissez Alfredo Bryce Echenique vous guider dans la Lima splendide et cruelle de son enfance.

Veronica Latourrette
( Mis en ligne le 29/10/2003 )
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