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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Plomb
de Arnaud Bordes
A contrario 2005 /  18.00 €- 117.9  ffr. / 248 pages
ISBN : 2753400113

Editions A contrario. 13 rue Lamartine. 71250 Cluny.

Le plomb, le sang et la volupté

La prose cruellement raffinée d’Arnaud Bordes n’est pas étrangère aux lecteurs de revues littéraires reconnues ou émergentes telles que Contrelittérature, La Sœur de l’Ange, Cancer ! ou Jibrile… Sans doute vous êtes-vous même déjà délecté d’une de ses chroniques, consacrées à quelque traité d’alchimie ou de gnose que, sans sa gargantuesque curiosité livresque, le temps et le mépris moderne auraient englouti, ou d’un de ses portraits d’auteurs, dont il est bien malaisé de débrouiller s’ils sont réels ou purement imaginaires.

Héritier de la littérature célibataire de la fin du XIXe siècle, pétri de lectures ésotériques et de Tradition majuscule, Bordes donne avec Le Plomb son premier recueil de nouvelles. Son jeune éditeur, A Contrario, n’en est certes pas à sa première audace mais peut prétendre à juste titre proposer là le premier grand livre décadent de notre époque. Car l’écriture de Bordes ne ressemble à aucune autre : chargée d’humeurs et de miasmes délétères, ivre de vin païen et de salive mystique, trempée dans l’eau pure des rivières ancestrales ou le sang de l’ennemi fraîchement pourfendu, sa prose s’écoule, à la fois Styx obstiné et Amazone aux multiples méandres, pour déposer dans l’esprit du lecteur son limon de pépites nobles et de Disjecta membra… Ce fleuve de boue, de sperme et de larmes traverse les Plaines Ourales, emporte les fauteuils d’un théâtre assiégé par des résistants polonais, passe par les improbables ruines de Maubourg et élance ses légendes jusqu’aux îles Féroé. Au passage, on remarque flottant à sa surface le corps de quelque Ophélie décapitée et les solitaires attributs d’un eunuque.

L’âme du recueil est peut-être à chercher du côté de ce stupéfiant texte central qu’est La lèpre de Schwob, récit gigogne où l’on voit le narrateur parcourir le monde pour rassembler cinq vies imaginaires qu’on dit écrites sur des lambeaux de chair pestiférés… La nouvelle est prolongée par les textes prétendument schwobiens qui, loin d’être ces ersatz d’apocryphes qu’on nomme aimablement « pastiches », constituent de véritables joyaux d’inventivité achronique, de sensualité furieuse et de pure violence.

Il faut entrer dans ce livre, premier (et déjà seul ?) de son genre, comme dans un labyrinthe, une bibliothèque ancienne ou un réseau de caves débouchant sur l’inconnu, la barbarie, le mal, les civilisations préhumaines, l’Origine… On fera bien sûr appel à Borgès ou Lovecraft pour se dépêtrer des dents d’un tel piège à loup littéraire. Il n’empêche qu’on n’aura fait là qu’évoquer des parentés, pas des obédiences. La coruscance des adjectifs, les subjonctifs passés surgissant au milieu des ronces et des sanguinolences, le monde enfin qui est évoqué, donné à voir, mais aussi à humer et à palper ; tout cela nous avertit que nous avons affaire à un écrivain à part entière. Qui préfère manier l’épée bâtarde plutôt que la dague.

Un voyage donc, là où le temps et l’espace se rejoignent, pour le meilleur de l’écriture, donc pour le pire de la morale. Une vision surgie des fumerolles d’un athanor retrouvé. Car Bordes l’a parfaitement compris : la littérature n’est en définitive qu’érudition parallèle et passion occulte…

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 25/02/2005 )
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