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L'Immortel - Histoire d'un homme véritable
de Olga Slavnikova
Gallimard - Du Monde Entier 2004 /  17.50 €- 114.63  ffr. / 206 pages
ISBN : 2-07-076722-1
FORMAT : 14x21 cm

Passé présent

Le récent Salon du Livre dont l’invitée d’honneur était la Russie a attiré l’attention des lecteurs et éditeurs français sur cette littérature et entraîné de nombreuses parutions. C’est l’occasion de découvrir que la production littéraire russe ne se limite pas au seul Soljenytsine et aux textes du Goulag.

Olga Slavnikova, née en 1964, et dont L’Immortel (publié en Russie en juin 2001) est le premier roman traduit en français (mais le troisième qu’elle ait écrit), appartient à cette génération nouvelle d’auteurs russes. Inconnue en France, elle jouit d’une réelle notoriété dans son pays où elle est une critique littéraire reconnue.

Le thème de L’Immortel est voisin de celui du film allemand Goodbye Lenin (qui lui est cependant postérieur), et cette parenté nous vaut une adresse au lecteur sous le titre Le spectre du communisme qu’Olga Slavnikova conclut ainsi : «Aux lecteurs qui voudraient feuilleter ce livre à la recherche de ressemblances avec le film, je souhaite une bonne séance. A ceux qui ont l’intention de lire le roman en tant que tel, je souhaite la bienvenue dans ma Russie que nous autres Russes aimons d’un amour étrange et totalement déraisonnable». Entrons donc à sa suite, dans cette Russie, déboussolée, au seuil de l’hiver, dans un appartement misérable où s’efforcent de survivre Nina, vieille femme, sa fille Marina et l’époux de celle-ci , l’évanescent Serguei Klimov.

Le personnage central est Alexei Afanassievitch Kharitonov, vétéran de la «guerre patriotique», paralysé, gisant sur un immense lit de métal doré, trophée dérisoire rapporté jadis d’Allemagne. Au long du roman se précise progressivement la personnalité de cet ancien éclaireur de l’armée rouge, qui tuait les ennemis en les étranglant silencieusement à l’aide d’une cordelette que, sa vie durant, il portera au cou ; cordelette qui pour lui s’identifie de façon absolue et unique à toute mort, la sienne comprise. Mutique, massif, il a été capable de tendresse et d’amour pour Nina, fille mère sans protection, qu’il épouse en adoptant du même coup sa fille Marina ; capable de tendresse, mais incapable de l’exprimer. Au fil des souvenirs de Nina remontent les jours heureux autour de deux dates essentielles : la journée internationale des femmes et la commémoration de la Victoire, leur fête à chacun, la femme discrète, le vétéran silencieux. La famille survit chichement avec l’appoint essentiel de la pension d’Alexei, versée chaque 20 du mois par une employée de l’administration, revêche, surnommée «la pelouse» et qui cherche à mettre en défaut Nina.

Pour des raisons qui tiennent à la fois de la nécessité financière et de l’affection, Marina, décide de mettre son énergie au service de la survie de son beau père, de lui épargner tout choc et pour cela de maintenir à l’intérieur de l’appartement la Russie de Brejnev. Travaillant à la télévision, elle est aidée dans son projet par un technicien qui lui confectionne de fausses bandes d’actualité ; stratagème qui permet de cacher la réalité à Alexeï, mais également à Nina, qui vit dans cet univers étrange, entre deux temps : le temps intérieur et le temps extérieur. L’un et l’autre s’en accommodent depuis quatorze ans, tandis que tout autour d’eux se délabre inexorablement.

Et c’est une société grouillante d’ambitieux, d’arrivistes au petit pied, de minables perdus dans des calculs mesquins et fascinés par le rêve d’argent des «nouveaux russes», que dépeint avec un réel talent Olga Slavnikova. Une réalité en toc, clinquante et illusoire, vouée à l’échec, dans laquelle les différents personnages sont enfermés. En fait, chacun, à sa façon, sortira de cet internement, en fonction de sa personnalité et de son adaptation aux circonstances ; et le message d’espoir pour la Russie est sans doute là : si glauque, si désespérée que soit la situation, il y a toujours une issue, y compris la mort. Nul n’est immortel, pas plus Alexei que Brejnev, que les nouveaux russes d’aujourd’hui…

Le livre refermé, reste le souvenir des deux femmes, Nina et Marina, si différentes dans leurs personnalités et leurs talents, mais émouvantes par leur volonté commune de vivre malgré tout, et leur vérité qui les distinguent des silhouettes qui les entourent. Un réel plaisir de lecture, une musique étrange, triste et drôle à la fois, souvent pathétique. Un texte qui peut être lu comme une description de la Russie d’aujourd’hui, et à ce titre intéresser le lecteur ; mais ce court roman est aussi une réflexion sur la difficulté des êtres à communiquer…

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 22/04/2005 )
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