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Littératureet Romans & Nouvelles  

Métropolitains
de Juliette Kahane
Gallimard - Blanche 2005 /  18 €- 117.9  ffr. / 256 pages
ISBN : 2070773264
FORMAT : 14 x 21 cm

Un petit Paris entre amis

Deuxième roman de Juliette Kahane, Métropolitains retrace la journée et la soirée d’une dizaine de citadins, personnages tout en nuances, qui se souviennent, se croisent une ou plusieurs fois, s’ignorent, se cherchent, se parlent ou s’aperçoivent, tout simplement, au cœur de l’underground parisien. Autour de Chantal, ex-chanteuse surnommée Chant, puis Song par son amant, conductrice de métro, gravitent Renée, sa fille, toquée d’un mystérieux pickpocket, son amie Djemila, femme de ménage joyeuse et son petit frère Ahmed, apprenti terroriste, sa mère Belle, ancienne pianiste virtuose, son amant Joseph, ou encore Coralie, marchande de journaux, mère tendre et incompréhensive de Georges, étudiant ethnologue rêveur et timide, Henriette, comptable poète et complexée, etc.

Organisé en chapitres aux titres laconiques – chacun relate les aventures d’un personnage en particulier -, ce livre dresse une galerie de portraits chatoyants, mais aussi et surtout le descriptif sans concession ni cynisme d’un héros peu ordinaire : le Métropolitain. Juliette Kahane prend le temps de nous le dévoiler comme nous avons peu l’occasion de l’imaginer, au travers des pérégrinations de femmes et d’hommes de tous âges, de toutes conditions, usagers familiers ou occasionnels du métro. Le lecteur suit et s’attache à ces humains défaillants et perfectibles, tendres et rugueux. On écoute leurs états d’âmes comme autant de confidences, reconnaissant parfois dans leurs récits le passage - bref comme une vision fugitive ou plus long - d’un autre personnage. On plonge dans les méandres de leurs souvenirs, de leurs regrets, de leurs projets, comme dans ceux du métro, revenant parfois à la surface de la ville comme à la réalité, au moment présent.

Comme les pièces d’un puzzle qui s’emboîtent, on rencontrera un prétendant au suicide à la veste de velours bleu qui, plumé par Joseph au poker, sera sauvé in extremis par Song, ou encore un couple d’américains huppés qui se fait voler par le tzigane dont s’éprend Renée… L’écriture de l’auteur joue avec les mots et suit avec empathie le fil de ses protagonistes, argotique pour Goldwen et Mayer, les deux clochards, avec une ponctuation minimaliste pour Renée après sa folle course, et passant du « je » au « il » ou au « elle » selon l’instant et les personnages.

On respire avec eux l’odeur du métal chaud et du désinfectant de Djemila, on écoute la musique du violon tzigane, le grincement du frein sur les rails ou la plainte incessante de Goldwen, on entr’aperçoit la veste de velours bleu, un toit de Paris et on dévisage la Pisseuse de Joseph, à l’instar de celles de Picasso ou Rembrandt, on ressent la promiscuité de la cheville de Kazan contre celle de Renée, on goûte la bière de Georges... Roman tout à la fois olfactif, visuel, tactile, sonore, Métropolitains offre un festival des sens en 250 pages. Comme Renée, surnommée l’Observatoire, on apprend à regarder, « observer les gens, les gestes qu’ils font sans même s’en rendre compte et quand ils oublient qu’ils ne sont pas seuls, ou parfois les dévisager, les regarder fixement pour voir comment ils vont réagir ».

Douce, chaleureuse, parfois cruelle, Juliette Kahane offre à ces anonymes seuls, incompris, abandonnés, un instant d’éternité, léger comme un poème de Henriette. Un petit Paris entre amis pour connaître ou reconnaître le sombre cœur d’une ville mythique.

Fanny Lescarcelle
( Mis en ligne le 09/05/2005 )
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