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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Cahier rouge
de Michel Tremblay
Actes Sud 2005 /  20 €- 131  ffr. / 332 pages
ISBN : 2-7427-5335-4
FORMAT : 12x22 cm

Roman de passes

Cela ressemble à une Maison Tellier passée à la sauce carnavalesque, référence sciemment assumée dès l’exergue du roman. Mais le fait de transformer les filles d’un bordel en travestis, de transposer l’action dans le Montréal de 1967, et de faire de la narratrice une naine apprentie écrivaine suffisent-ils à renouveler le cliché de la maison de passes et de sa maquerelle à poigne de fer? Un sentiment de déjà vu et d’anachronisme accompagne la lecture de ce deuxième opus des aventures de Céline. Michel Tremblay ressemble de plus en plus à un revenant dans l’univers de la littérature québécoise.

Il y a une trentaine d’années, Tremblay publiait donc des livres polémiques, qui soulevaient la question de la langue et de l’identité québécoises. Il écrivait en joual, l’argot montréalais, créait des personnages extravagants issus de la classe ouvrière, qui s’exprimaient dans une langue crue et imagée. L’humour était l’arme qu’ils érigeaient contre une société qui n’acceptait pas la marginalité, et la poésie naissait de scènes triviales qui avaient pour cadre les quartiers pauvres et bigarrés de Montréal. Mais les années ont passé. Et Michel Tremblay, qui avait prouvé qu’il était possible d’exporter la littérature québécoise à l’étranger (ses œuvres sont aujourd’hui traduites en une vingtaine de langues), s’est cantonné dans ses recettes.

Le Cahier rouge retrace donc l’atmosphère survoltée et pleine d’optimisme de l’été de l’Exposition universelle de 1967, celui où Montréal tenta une opération de séduction en présentant au monde son meilleur profil. Ces pages où l’auteur décrit amoureusement la schizophrénie de sa ville natale, partagée entre son image officielle et ses bas-fonds officieux, sont aussi les meilleures. Le Boudoir, placé sous le règne incontesté de Madame, est un de ces «foyers de résistance», qui offre un contrepoint inattendu à cette grande foire internationale. S’y côtoient une panoplie de personnages déjantés, «hommes habillés en femmes, elles-mêmes femmes de petite vertu», qui ressemblent à autant de copies non conformes d’une Brigitte, Marilyn ou Mae West récupérées par l’esthétique camp. C’est l’occasion rêvée pour Tremblay de ramener quelques-uns de ses personnages fétiches, dont la truculente Duchesse de Langeais, vendeur de chaussures obèse le jour et créature de rêve le soir. On la retrouve avec d’autant plus de plaisir qu’elle est à l’origine des rares intermèdes qui font sourire dans ce roman qu’il nous semble avoir déjà lu.

Mais même la Duchesse n’arrive pas à empêcher l’œuvre qui est en tête des listes de best-sellers outre-Atlantique de s’enliser dans la lourdeur. On regrette notamment les fâcheuses expériences littéraires de la narratrice, l’air faussement subversif de ce conte bon enfant et les pâles fantômes que deviennent ici certains de ses anciens personnages. Pour retrouver la saveur de ceux-ci, il faudrait se reporter au cycle des Chroniques du Plateau Mont-Royal : Michel Tremblay n’a rien écrit de meilleur depuis.

Martina Djogo
( Mis en ligne le 22/06/2005 )
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