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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Manucure
de Christos Chryssopoulos
Actes Sud - Lettres grecques 2005 /  13 €- 85.15  ffr. / 119 pages
ISBN : 2-7427-5860-7
FORMAT : 10,0cm x 19,0cm

La face cachée de Philippos

Célibataire endurci à la vie réglée comme un métronome, Philippos est cette image familière dans les allées de la ville. A la fois attendrissant et objet de non-dits, de doigts pointés sur sa discrète étrangeté, c'est un artiste des mains, non pas pianiste mais manucure ! Il est apprécié pour son talent, un perfectionnisme qui, à son image, fascine et inquiète. «Les commerçants l'appelaient le chirurgien tandis qu'il circulait dans le quartier avec son air sérieux et sa blouse blanche» (p.22)

N'aurait-il donc aucune vie ? Lisse et opaque, il suscite l'intrigue de tous avant que l'indifférence ne l'emporte. Or, derrière la blouse blanche, se tapit un autre monde ; et derrière ses airs taciturnes et impénétrables, quelques folies aussi. De la démence?... «Il en était ainsi de Philippos. Il faisait penser à la lune. Pour les gens, sa vie se déroulait dans un espace à deux dimensions. Comme un disque lumineux. Et l'on oublia que la lune a trois dimensions et qu'une de ses faces reste dans l'ombre» (p.31) Asocial bien moins qu'autiste, artiste à sa manière, poète à sa façon, Philippos pourrait bien être un véritable sociopathe...

Or Philippos est-il si asocial ? Des êtres le croisent. Llona tout d'abord, qui le fascine mais qu'il objectifie et réduit à ses mains, les mains de marbre, synecdoque évidente pour quelqu'un de sa trempe. Mais deux mains, soient-elles parfaites, ne suffisent pas à ce qu'il remonte jusqu'à l'être. Ce que parvient à provoquer par contre Pavel, l'ami, l'amant, objet d'une passion pour laquelle Philippos, trop peu habitué aux humains, n'était peut-être pas prêt. Et ce conte en apesanteur de choir dans le drame... «Il faisait partie de ces quelques individus chanceux pour qui la réalité n'a strictement aucune valeur. Rien ne pouvait toucher Philippos. Il vivait retranché derrière lui-même, dans une ville faite de reflets. Il en contrôlait l'unique entrée et seul ce qu'il tolérait pouvait y pénétrer. C'était quelqu'un qui vivait en autarcie. Peut-être pouvait-on affirmer, si ce mot existait dans l'univers de Philippos, qu'il était heureux. Mais personne ne pouvait le savoir avec certitude, parce qu'il vivait loin des êtres humains.» (p.75)

Un conte fantastique, court récit éthéré par phrases, longue nouvelle angoissante par d'autres, poétique et raffinée toujours... Christos Chryssopoulos séduit avec cette prose à la fois simple et précieuse, envoûtante et venimeuse. Une superbe orchydée littéraire...

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 04/01/2006 )
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