L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Arthur Cravan n’est pas mort noyé
de Philippe Dagen
Grasset 2006 /  17.90 €- 117.25  ffr. / 306 pages
ISBN : 2246712815
FORMAT : 20,5 cm x 13 cm

Date de publication : 1/9/2006.

L’art de la métamorphose

Qui était Arthur Cravan ? Sa disparition en 1918 demeure un mystère. Pour les dictionnaires et les encyclopédies, il aurait été tout à la fois poète et boxeur, proche de Picabia, Duchamp et neveu d’Oscar Wilde. Passé maître dans l’art de brouiller les pistes, Arthur Cravan fut tout cela, mais pas seulement : né en Suisse sous le nom de Fabian Lloyd, il est pourtant citoyen britannique. Avant sa disparition, il parcourut tour à tour l’Allemagne, la France, l’Espagne, les Etats-Unis, le Mexique. Il aurait dû rejoindre les rivages argentins mais aurait disparu avant de les avoir atteints. Les récits de sa disparition divergent : est-il mort noyé, tué par la police le long du Rio Grande ou mort poignardé au cours d’une rixe ? Ou bien a-t-il choisi de disparaître pour se réincarner, un peu plus loin, sous une identité nouvelle ? Ce ne serait guère surprenant de la part de cette tête brûlée si douée pour l’imposture et le travestissement.

C’est cette dernière hypothèse que Philippe Dagen a choisi d’explorer dans un très beau roman qui paraît chez Grasset. Le titre était tout trouvé : Arthur Cravan n’est pas mort noyé. Sous la plume alerte et sensible de celui qui est à la ville un historien et critique d’art réputé, Arthur Cravan se confie, se livre et dévoile les mystères de ses existences multiples : celles – attestées - qui l’amenèrent à fréquenter les milieux avant-gardistes, surréalistes et dadaïstes du Paris de l’avant-guerre et du New-York des années 1916-1918, puis celles, plus mystérieuses, qui suivirent sa disparition. Tour à tour planteur, gérant d’hôtel, paisible retraité helvétique, agent de renseignement, trafiquant, ce héros picaresque ne cessa de se métamorphoser. Aventurier et en même temps intellectuel et artiste distingué, rude voire rugueux mais intensément sensible, le héros ne cesse d’interroger cette vie qui s’achève et sur laquelle il n’avait jamais voulu se pencher. Au sein de cette confession, de ce témoignage fleuve, les pages les plus marquantes sont probablement celles au cours desquelles, après un si long black-out, le retraité du lac Léman analyse sans aucun état d’âme les provocations de sa jeunesse et celles de ses camarades artistes de l’avant-guerre, et cherche à savoir s’ils sont restés fidèles à leurs engagements et à leurs enthousiasmes, tout en prenant soin de ne rien dévoiler à sa jeune compagne de ses liens intimes avec ce qui n’est pour elle que l’Art et l’Histoire. Après un si long silence, farouchement gardé, il découvre que sa jeunesse, ses premières vies, lui ont échappé et appartiennent désormais aux livres. Enterré vivant et pourtant unique survivant muet et invisible d’une histoire qui s’éteint, il goûte sans retenu le plaisir d’observer sans être vu, d’écrire sans être lu. A moins que…

A moins qu’un autre, un écrivain cette fois, ne décide de réincarner une fois de plus Arthur Cravan et de rendre public son témoignage. Le résultat est magnifique et se dévore à pleines dents : pour ces instants de plaisir hors du temps, Arthur Cravan vit encore.

Raphaël Muller
( Mis en ligne le 01/09/2006 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)