L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

AL
de Agnès Clerc
Seuil - Cadre rouge 2008 /  20 €- 131  ffr. / 320 pages
ISBN : 978-2020977791
FORMAT : 14x20.5 cm

Date de parution : 21/08/2008.

TU T´ES VUE QUAND T´AS LU ?...

Le titre intrigue, la quatrième de couverture attise une certaine curiosité, que les premières pages confirment. Dans un style plus que précieux, cisaillé, se découvre l’histoire d’une narratrice accompagnant une certaine Claire. Parce que le résumé de la couverture n’en dit pas plus, on hésite, en cette entrée dans le récit, à penser que le dit narrateur pourrait être l’alcool qui, en cette Claire, parlerait, comme une seconde conscience, éthylique, et pourtant plus lucide. C’eût été génial…

Hélas, quand le doute s’évanouit et que l’on comprend que la narratrice est un être de chair et de sang – et d’alcool aussi, donc -, voire, pire, l’auteur elle-même, on dessaoule aussi sec… et vient la méchante migraine. Car AL, finalement, n’est qu'une énième complainte égocentrée, le mal-être mis en mots d'une femme qui a trop lu, qui en sait trop et qui du coup cherche son nord magnétique ; l’alcool lui sert de boussole et les mots remplissent son vide...

A moins qu’ils ne le créent… Car l’auteur s’enfonce dans son récit comme en une tourbe. Les mots s’accumulent, qu’elle prend comme un mesquin plaisir à cueillir trop murs et luisant dans son vocabulaire très sophistiqué. Chaque page offre son, voire ses substantifs oubliés ou inconnus, mots désuets, volontiers complexes, qui lestent la lecture. Ils sont trop nombreux, ces bouts de phrases incompréhensibles ; ils déroutent le lecteur, en plus de lui donner la vilaine impression d’être, décidément, inculte. Antimatière littéraire : l’auteur crée comme une lumière noire, un tel concentré lexical et syntaxique que, agglutinés ainsi, les mots s’annulent et nourrissent un trou noir : vortex qui absorbe tout et ne restitue rien. Bref, du vide. Comme si l’on avait donné à Christine Angot une caisse de rouge et un dictionnaire des mots difficiles…

Mais cela pourrait être entêtant comme une belle musique, comme un poème raffiné, si, en outre, le propos lui-même n’était aussi abscons et inintéressant. L’étalement d’un moi fermé. Car la narratrice parle d’elle, philosophe, esthète, bisexuelle plus que lesbienne, elle boit beaucoup, de bons vins, des alcools goûteux, dans des bars, auprès d’amis connus d’elle seule, Zéros-du-jour, le mystérieux Méliador, Maman, Morte Truite, tous plus ou moins artistes et paumés comme elle. Un rat meurt ; deuil national. Les méridiens s’affolent ; on va d’un village perdu à Chicago, puis Marseille.

Mais a qui s’adresse Agnès Clerc ? Quel est son cœur de cible ? L’éditeur y a-t-il seulement songé ? De beaux mots en enfilades suffisent-ils pour adouber un auteur et créer matière à roman ? On en doute ; on en doute tellement que la fureur, au fil des pages monte, que la lecture hoquette et se précipite. Parce qu’on ne peut pas fermer un roman sans l’avoir lu d’un bout à l’autre, on se force à poursuivre… mais on ne lit plus, on regarde, on dégringole des pages, pris dans ce tourbillon de mots malades, sans ce qui, normalement, sert à créer leur monde, tout simplement : une histoire, autre chose que ce Moi créateur d’antimatière, que ce «Je» à rebours de tout «Nous», qui étouffe : «Atteinte, dans les fêtes de l’alcool, d’égophilie, je ne désirais pas guérir. Derrière la vulgarité de mes confessions, mes épanchements, je voyais se profiler une chance» (p.69) Plus loin : «Ma pagaille, alors, me sembla un fouillis d’étoiles» (p.131). Et enfin, derniers mots de ce non-roman : «Mon nom» (p.316). CQFD.

Et le nôtre pour qualifier cette chose : non, une fois encore, NON…

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 22/08/2008 )
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