L'actualité du livre
Littératureet Biographies, Mémoires & Correspondances  

Ma vie
de Alfred Kubin
Allia - Petite collection 2015 /  7.50 €- 49.13  ffr. / 145 pages
ISBN : 978-2-84485-985-3
FORMAT : 10,0 cm × 17,0 cm

Christophe David (Traducteur)

L’écrivain-illustrateur

Malade, neurasthénique, suicidaire, orphelin, veuf (deux fois), victime de deux guerres mondiales, Alfred Kubin (1877-1959) a pourtant vécu 82 ans ! C’est donc l’histoire d’une vie romanesque (ces mémoires tourmentés s’achèvent en 1952) qui nous est contée par Kubin, écrivain et illustrateur autrichien. Ce petit ouvrage a été composé durant une période de 40 ans, entre 1911 et 1952. Avec des reprises en 1917, 1927, 1931 et 1946. C’est donc une sorte de notice biographique que l'auteur a voulu succinctement écrire, histoire de marquer quelques grands repères personnels et artistiques avec une vision spécifique à 30, puis 50, et enfin 70 ans. Cette façon originale de publier une autobiographie doit être relevée.

L’artiste est d'abord un enfant solitaire, de santé fragile, dont les crises et les fièvres ont décuplé l’imagination créatrice. Il s’intéresse au dessin, puis à la photo avant de devenir un illustrateur référent d’œuvres classiques (Dostoïevski, Poe, Kafka, Hardy…) malgré une scolarité chaotique et une difficile adaptation à la vie sociale en général. Membre de la Sturmfackel au début du XXe siècle, au moment où son talent prend forme, il finit par s’en distinguer en proposant une œuvre singulière marquée par ses propres démons.

Les dessins de Kubin sont tracés au crayon, en noir et blanc, témoignant d’une agitation et d’une brutalité formelle liée au rêve, à l’angoisse nocturne et des penchants délirant. Ils se tournent parfois vers un fantastique au caractère sombre, miroir de l’époque décrite. Il écrit également un roman fantastique (L’Autre côté, 1908) qui deviendra un classique, lui aussi inspiré par ses cauchemars et ses fièvres nocturnes. L'œuvre de Kubin est caractéristique du début du XXe siècle, teintée d'un romantisme noir annonçant certaines formes surréalistes (inspirées du merveilleux et du roman gothique) tout en déployant un arsenal assez réaliste (caractère sombre et morbide lié à la situation sociale).

Ma vie se lit avec beaucoup d’intérêt car c’est à la fois un récit sur un destin passionnant et le retour sur un siècle marqué par une création artistique foisonnante et deux tragédies mondiales. Il s'agit également d'un texte marqué par la mort, celle de proches de Kubin, mère, père, puis sa femme et quelques amis, celle de deux guerres meurtrières également (les illustrations de Kubin présentes dans cet ouvrage l'illustrant avec force). Réformé pour cause de maladie chronique, Kubin put continuer à peindre, à dessiner et à écrire durant toute son existence. Âme torturée empreinte de romantisme autrichien – le jeune homme a tenté de suicider devant la tombe de sa mère alors qu’il traversait une période d’exclusion, de souffrance et de doute –, Kubin évolue vers une approche plus ancrée dans le réel en s’inspirant de Kant et de Schopenhauer par la suite. C’est peut-être ce qui lui a permis de continuer et de protéger son œuvre jusqu'au bout.

Un témoignage à la fois poignant et lucide sur la trajectoire d’un artiste assez solitaire et peu connu du public français, un homme qui a traversé les époques avec droiture, courage et lucidité.

Jean-Laurent Glemin
( Mis en ligne le 22/04/2015 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)