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Littératureet Biographies, Mémoires & Correspondances  

Colette
de Claude Francis et Fernande Gontier
Perrin 2004 /  21.50 €- 140.83  ffr. / 439 pages
ISBN : 2262021546
FORMAT : 16x24 cm

Apéritif

La réédition (la première publication date de 1997) de l’une des biographies «de référence» du mythe Colette nous laisse sur notre faim. Bien sûr, ces quatre cents pages redonnent toutes sa vie à Sidonie-Gabrielle Colette, et cette vie, on le sait, fut passionnée et passionnante. La petite fille, la femme, l’amie, l’épouse attendrie, l’ogresse anticonformiste, la garce et l’ingénue libertine, la danseuse nue, l’actrice et la femme de lettres, elles sont toutes bel et bien là. Et autour d’elles, la camarilla des personnages du siècle, figures du jour ou de la nuit, demi-mondaines et grands hommes, poètes, politiques, littérateurs et comédiennes, gravite impeccablement autour du typhon Colette. Et bien sûr, pas un épisode de l’ample feuilleton de cette longue vie -1873 à 1954- n’est passé sous silence.

Mais la manifeste empathie des auteurs avec leur sujet, l’évidence de l’engagement féminisant (Claude Francis et Fernande Gontier ont également écrit une biographie de Simone de Beauvoir) n’empêchent paradoxalement pas le propos de tomber dans un travers bien peu féministe : la réduction de l’auteur à la femme. On savoure certes ou l’on découvre avec un plaisir non dissimulé les frasques de l’épouse, les états d’âme de l’amante trompée, les ruses de la chatte Colette. Et l’on apprécie sans façons la reconstitution de pans entiers d’époques pour nous si lointaines, surtout celle, trouble et entêtante, de l’avant-1914.

Mais où est-elle, l’œuvre, dont on nous prévient pourtant d’emblée qu’elle reste méconnue, de cet artiste «plus complexe et plus géniale encore que la légende» ? Le style de la romancière, l’incomparable coup de crayon gras de la portraitiste et de la mémorialiste, la forte présence de la journaliste, précurseur du reportage moderne ? On glisse, vite, sur tout cela, comme on cite pour mieux les oublier les louanges de Valéry, Proust, Gide, excusez du peu... On élude plus encore l’étrange rapport de cette intelligence aux tumultes du monde, en particulier après 1939. Ces sujets ne sont pas absents, certes, mais ils paraissent bien pâles et chétifs, élevés comme bouture en pot, hors la pleine terre où prospèrent les amours, les battements de cœur et les scènes de ménage, les voyages incessants, les procès avec ou contre Willy, les inclinations durables et les lubies, les fâcheries et les coucheries, les mesquineries et les grandes amitiés dont la païenne et romantique Colette a semble-t-il planté son luxuriant jardin. On est loin de ces biographies «totales», à l’américaine dit-on, qui chargent sur leurs solides épaules et la vie et l’œuvre et l’époque des artistes étudiés. Quitte à rater leur coup, ces entreprises-là ne pèchent au moins jamais par défaut d’ambition, et l’on se prend à comprendre qu’elles gagnent du terrain dans les rayonnages et sur nos étagères.

Mais le livre remplit son objectif : relooker la «vieille image stéréotypée» de la femme Colette. Pour l’écrivain, mieux vaut sans doute, bien que le sujet ne résume pas non plus totalement le propos de l’auteur, se pencher sur le troisième tome du triptyque consacré par Julia Kristeva au Génie féminin (Fayard, 2002). Quant aux relations de la dame du Palais-Royal avec son temps et avec l’histoire, on les trouvera mieux cernées dans Colette, une certaine France, de Michel del Castillo (Stock, 1999). Dernier regret, enfin, la réédition du livre de Claude Francis et Fernande Gontier, inexplicablement, ne comporte toujours pas de bibliographie. Décidément, une enquête «à l’anglo-saxonne» sur Colette reste à mener.

Jean-Michel Cedro
( Mis en ligne le 20/02/2004 )
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