L'actualité du livre
Littératureet Biographies, Mémoires & Correspondances  

Pierre Corneille
de Alain Niderst
Fayard 2006 /  24 €- 157.2  ffr. / 438 pages
ISBN : 2-213-62865-3
FORMAT : 16,0cm x 24,0cm

L'auteur du compte rendu : Rachel Lauthelier-Mourier a soutenu en 2002 une thèse de doctorat intitulée "Géographie et rhétorique dans les récits de voyage en Orient à l'époque classique" (Paris IV-Université de Montréal). Elle est aujourd'hui Maître de Conférences à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE). Ses recherches portent sur le genre viatique et les transferts culturels (épistémologie en particulier).

Relire Corneille, lire Pierre Corneille

Tout commence par une référence discrète à un ouvrage d’Edouard Herriot : Dans la forêt normande, «l’immense forêt normande, qui va du Vexin au Maine» ; et Alain Niderst de continuer la description de cette nature sylvestre que les paysans peu à peu défrichent au profit des bocages et des prairies. Pourtant, même domestiquée, cette campagne-là, balayée par les tempêtes venant de la mer, et dont la terre est gorgée d’eau, reste rude et détermine, en partie, le caractère des Normands, ou à tout le moins ce que l’on croit qu’il est.

Corneille, donc, est normand. Et «d’humeur brusque, et quelquefois rude en apparence», dira Fontenelle de son oncle, «bon père, bon mari, bon parent, tendre et plein d’amitié… enclin à l’amour, mais jamais au libertinage… l’âme fière et indépendante, nulle souplesse, nul manège… il avait plus d’amour pour l’argent que d’habileté ou d’application pour en amasser… beaucoup de probité et de droiture… beaucoup de religion». Il n’était certainement pas fait pour briller en mondanité, pour «flirter» à la cour, par plus que pour les succès du prétoire. Sur ce dernier point, rappelons que, si Pierre Corneille est effectivement reçu avocat au parlement de Normandie en 1624, cela ne veut pas forcément dire qu’il a les compétences nécessaires à la charge. Les cours de droit ne sont alors pas obligatoires et il suffit parfois pour être licencié de montrer quelques libéralités aux professeurs qui organisent l’examen : «c’est ainsi que Charles Perrault et sans doute Molière ont réussi à Orléans».

Pierre Corneille, avocat, ne plaide qu’une fois, sans doute assez mal. Ses ennemis ne l’oublient pas : «D’autres aussi que l’on pourrait nommer excrément du barreau, s’imaginent de mauvais avocats pouvoir devenir de bons poètes en moins de temps que les champignons ne croissent», écrit le vieux poète Alexandre Hardy qui ne supporte pas d’être évincé par son jeune rival. Il est vrai que Corneille n’a pas la verve aisée, qu’il bredouille maladroitement en public, de surcroît avec un fort accent normand. En revanche sa plume, elle, court, avec aisance et inlassablement : «J’ai la plume féconde et la bouche stérile», dit-il de lui-même.

Il écrit effectivement beaucoup : d’abord une comédie, Mélite ou les fausses lettres, qui est jouée à Paris en 1629 (il n’a que vingt-trois ans), puis des tragi-comédies ou comédies à l’espagnole, des tragédies en musique, «des pièces à machines», des tragédies… Quarante-cinq années de travail, presque sans interruption, jusqu’à Suréna, en 1674, qui met fin à sa carrière dramatique. Il connaît très tôt la gloire et les grands de ce monde. Successivement le protégeront : Richelieu, Mazarin, la Reine Anne d’Autriche, Fouquet et Louis XIV. Alexandre Hardy avait donc raison d’être inquiet : Corneille ne l’a pas seulement supplanté dans les théâtres parisiens du 17ème siècle, il l’a dépouillé de sa célébrité et de son renom, aux yeux de ses contemporains et des générations à venir.

Du succès, Corneille en a connu, beaucoup, et il n’y était pas insensible, loin de là. Cet homme laborieux, méticuleux, souvent effacé en société, presque gris, est aussi paradoxalement d’un orgueil sans commune mesure. Il a le désir d’être reconnu, applaudi, aimé : «Je sais ce que je vaux et je crois ce qu’on m’en dit». Mais les flatteries ne sauraient suffire : cupide, un peu avare, il veille à ses gages. De si près, et avec tant d’insistance et de rigidité, qu’il se fait de l’ombre à lui-même, et subit les inimitiés qu’il provoque, souvent malgré lui.

Voilà l’homme que nous présente Alain Niderst, professeur de littérature française du 17ème siècle, mais en évitant le recours trop facile à la biographie, préférant les méandres de l’esprit à la linéarité temporelle. Surtout, c’est un genre que l’auteur connaît bien pour avoir livré d’autres vies au public. Et c’est un sujet – le 17ème siècle, le théâtre, l’homme de théâtre, Corneille lui-même – qu’il connaît mieux encore pour lui avoir consacré quelques décennies de recherches.

Entre le Corneille (1938) de Brasillach et le Pierre Corneille de Niderst, qui paraissent simultanément chez Fayard, nous choisissons le second, sans hésitation, et pour différentes raisons, dont la qualité des recherches et la connaissance du sujet ! Car Alain Niderst a encore prouvé qu’il n’était pas seulement un bon biographe, mais aussi un excellent chercheur. Relire Corneille, bien sûr, mais lire aussi ce Pierre Corneille, est une belle manière de célébrer le poète, en ce quatrième centenaire de sa naissance.

Rachel Lauthelier-Mourier
( Mis en ligne le 05/04/2006 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)