L'actualité du livre
Littératureet Biographies, Mémoires & Correspondances  

Robert Desnos
de Anne Egger
Fayard 2007 /  42 €- 275.1  ffr. / 1162 pages
ISBN : 978-2-213-63187-5
FORMAT : 16,0cm x 24,5cm

Desnos sous la loupe

Le principe d’une biographie est double : renseigner précisément le lecteur sur la vie de tel personnage historique et lui faire comprendre à travers elle l’œuvre qu’il a accomplie. En cela, le livre de Anne Egger répond confortablement à cette règle et se réclame dans le même temps être la biographie officielle de l’écrivain (plus de 1000 pages).

De la prime enfance à sa mort tragique en 1945 dans les camps de la mort d’Hitler, l’existence de Robert Desnos est passée au peigne fin grâce à une recherche et à une documentation des plus fouillées (Egger va jusqu’à collecter quelques factures d’hôtel du poète !). Et il faut passer par ce genre d’ouvrage lorsque l’on veut intégrer une fois pour toutes le parcours intellectuel d’un artiste dans un temps précis. Celui de Desnos semblait manquer malgré l’importante bibliographie qui lui est consacrée depuis près d’un siècle et les quelques ouvrages de référence le concernant, notamment un Cahier de l’Herne et une biographie Robert Desnos, Le Roman d’une vie de Dominique Desanti parus tous deux en 1999. Voilà qui est fait et l’on s’en réjouit car Desnos était un écrivain bien plus complet(xe) que ce que l’inconscient collectif ainsi que les manuels en ont gardé. Car, à l’instar de son ami Philippe Soupault, ce qu’il y a d’intéressant chez ce poète, c’est son éclectisme artistique et son désir furieux de ne vouloir appartenir à aucune caste (et cela dès le début de sa carrière), d’écrire une prose qui ne se range pas dans un genre déterminé, conséquence souvent des innombrables activités de cet écrivain de l’entre-deux-guerres.

Desnos, bien que nageant très profondément dans les eaux surréalistes à partir de 1922, n’en restait pas moins libre de faire des chroniques dans des journaux dits de droite ! (deux termes, «journaux» et «droite», bannis par Breton !) Ce qui expliquera, entre autres mauvaises raisons, son éviction définitive du mouvement en 1929. Mais c’est surtout l’homme qui intéresse l’historienne. La biographie, devenue un genre à part entière, doit masquer dans un sens le style de son auteur pour laisser place à l’originalité du personnage que l’on traite, et Anne Egger, de par son écriture à la fois simple, directe et dont la narration d’événements semble le souci principal, s’efface au profit du traitement et du rendu de la création artistique de Desnos au moyen de bon nombres de documents littéraires de l’époque qui viennent compléter son texte (extraits d’œuvres, de correspondances, de témoignages, de documents, de récits, de souvenirs, etc.).

C’est donc la voix du poète et l’environnement de son époque qui revivent le temps de cette lecture. Les multiples occurrences minutieusement placées au cours du livre permettent de mieux savourer les moments importants de la vie de Desnos. Anne Egger insiste davantage sur l’originalité de la personnalité de Desnos dans le mouvement surréaliste plutôt que sur son potentiel littéraire ; difficile mise en abîme quand on voit combien de talentueux écrivains cette école a contribué à faire connaître. Et Desnos, même si elle met en lumière son côté éclectique et visionnaire, a eu du mal à se distinguer et à compter parmi les grands qu’ont été Breton, Aragon, Eluard, Péret, qui se sont vite démarqués. D’où peut-être le rachat par l’écriture de ce livre afin de situer l’écrivain parmi les grands de cette première partie du XXè siècle. Si elle revient longuement sur les inepties, parfois inacceptables, du groupe surréaliste, auxquelles il était impliqué, elle touche souvent juste en montrant dès le début les curiosités de Desnos qui s’aventura dans l’écriture, en matière poétique bien sûr, mais aussi en confession personnelle, en critique de cinéma, de musique, en chronique de voyage ; en tant que conteur, en résistant, en militant ou encore en journaliste local. Un enthousiasme qui a toujours parcouru l’homme et son œuvre. Un goût en la vie et à ses possibles miracles. Enthousiasme des rencontres même lorsqu’elles sont à contre-sens, de ses écrits lorsqu’ils sont directement inspirés de ses amours impossibles, de ses rêves de fantômes, de ses voyages et de son quotidien qu’il veut merveilleux à tout prix, peut-être aussi parce que le surréalisme s’en est toujours réclamé ; ce qui peut parfois laisser le lecteur, s’il est pétri de réel, quelque peu sceptique lorsqu’on divague sur le sens de tel ou tel rêve, hasard ou rencontre fortuite, interprétations excessives souvent à la limite du ridicule que l’esprit surréaliste affectionnait tout particulièrement et dont Desnos s’est voulu un temps le garant.

En ce sens, il représente la part heureuse, éclatante, chatoyante du surréalisme, souvent partagé entre ombre et lumière ; d’un côté les Crevel, les Rigaut terrassés par l’obsession du suicide, des amours déçus et de la maladie, et de l’autre les Desnos, les Péret, plus entrains à l’exaltation, à la célébration de l’amour fou, à liberté totale et à cette joie de vivre liée aux instants de grâce, à ces fameux hasards objectifs d’où naît la création poétique. L’après surréalisme, à notre sens moins crucial, montre un Desnos toujours en prise avec une activité riche et variée. Scénariste, employé à la radio, chroniqueur, journaliste, auteur de contes et de poésie pour enfants, homme amoureux et heureux en ménage jusqu’à ce que la Gestapo vienne le détrousser et le laisser mourir du typhus en 1945 à la libération des camps.

L’ennui, c’est qu’à l’instar de son sujet, Egger en voulant tout dire, se perd un peu dans ce magma d’informations, de textes, de rencontres, d’amours déçus, de banalités, de travail, qui font chaque vie d’homme. Au lieu de viser l’essentiel, elle se permet trop d’écarts dont l’intérêt littéraire et historique se perd au prix souvent de l’anecdotique, qui semble être d’un coup, en s’immisçant à de trop nombreuses reprises, la marque de fabrique du livre. On peut donc reprocher à ce travail titanesque fait autour de cette quête de s’attacher peut-être trop aux détails. Ce sens de l’exhaustivité s’apparente parfois à une volonté absurde de donner un maximum d’informations non pertinentes pour un artiste, comme ici, exemple significatif pris parmi bien d’autres: «On le couvre de recommandations et de cadeaux : cravate, canotier, montre, pour compléter le nouveau costume taillé sur mesure – son premier pantalon long – et puis un stylographe et un couteau suisse.» (p.43) Peut-être un signe de l’époque qui ne laisse plus rien dans la «gueule» de l’éphémère et de l’oubli en tentant de tout montrer et de tout dire… Au risque de ne plus rien retenir…

Mais pour qui veut comprendre, étudier, travailler ou tout simplement lire l’œuvre de Robert Desnos, cette biographie répond à cette attente en retraçant les années folles d’un homme (et d’une époque) qui a su résister d’abord à Breton, ensuite à l’envahisseur (!), avant de disparaître tragiquement à 44 ans dans les camps de la mort au moment où l’on fêtait déjà la paix. Destin tragique (il fait partie avec Max Jacob des rares écrivains français victimes «directes» des camps nazis) s’il en est, qui a réduit à néant les visions, les élans poétiques, les jeux de langage de celui qui a su à sa façon célébrer dans ce poème bien connu, l’absence d’une femme aimée. Quelques vers qui à eux seuls témoignent des obsessions du poète : amour fou, dissolution de la réalité, muse impossible, rencontre médiumnique, inconscient éveillé, tonalité amère, traitement populaire. Triste prémonition lorsqu’on voit l’aspect du poète (cf. les quelques photos du livres choisies par l’auteur) quelques jours avant de succomber.

«J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
(…)

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie»
(Robert Desnos, «J’ai tant rêvé de toi» dans Corps et biens, Préface de René Bertelé, Ed. Gallimard, 1953, coll. «Poésie Gallimard», 1968, p.91.)

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 20/06/2007 )
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