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Littératureet Biographies, Mémoires & Correspondances  

Drieu - Suivi de lettres inédites de Pierre Drieu la Rochelle à Victoria Ocampo
de Victoria Ocampo
Bartillat 2007 /  19 €- 124.45  ffr. / 151 pages
ISBN : 978-2-84100-412-6
FORMAT : 12,5cm x 20,0cm

Victoria et son Pauvre Pierrot

Victoria et Pierre… Étrangement, ces deux prénoms accolés sonnent déjà comme une promesse de rencontre. Elle, élégante, admirable, descendante d’une famille aristocratique, mécène argentine, créatrice de la revue SUR qui sera pendant des années au carrefour des échanges entre les intellectuels sud-américains et ceux du Vieux Continent. Lui, charmeur, bien charpenté, romancier inégal mais reconnu, Don Juan compulsif rongé intérieurement par ses souvenirs de la Grande Guerre et plus encore par une lucidité quasi pathologique. Elle, née Ocampo, luttera sans relâche pour affirmer son indépendance et son refus de toute forme d’autoritarisme politique ; lui, mort Drieu la Rochelle, sans enfant, à l’extrême pointe de son dégoût et de ses illuminations, installé à jamais dans le Nirvana des Sulfureux. Entre eux, la complémentarité, aussi brutale qu’essentielle, du silex et de la pierre.

Comme le note Julien Hervier, «ce sont deux êtres malmenés par la vie, enferrés dans des mariages ratés, qui se rencontrent pour un bref flamboiement de passion dans une Europe en sursis, promise à de nouvelles catastrophes. Aucun des deux n’est vraiment jeune, même s’ils restent prêts à tout miser sur le grand amour, avec une fraîcheur et des attentes d’adolescents.» Pourtant, Victoria ne sera pas une figure supplémentaire dans le tableau de chasse du tombeur de ces dames. Ni conquête ni «femme de sa vie», elle occupera cette position sublimement intermédiaire d’amie. Leur rapport s’élaborera dans la constance, si ce n’est la plus pure des fidélités (et Dieu sait si le mot est osé quand il s’agit de Drieu…).

Le livre que proposent les Éditions Bartillat est rare, dans la mesure où il offre un témoignage non voyeuriste sur l’entente privilégiée entre deux monstres sacrés des lettres. L’émotion de Victoria, sensible à chaque ligne, ne fait aucune concession à ses jugements sur l’homme Drieu, dépeint à travers ses atouts et ses failles. Et au-delà d’un inévitable aspect anecdotique, c’est l’énigme universelle de l’attirance, de la fascination, de la séduction que formulent à nouveau ces pages.

Le texte est complété d’une correspondance inédite dans laquelle Drieu souligne la force de cette relation à distance («Victoria, chère, ne me prive pas de toi, de tout ce que tu me donnes. D’ailleurs tu me le donnes même en silence»). Il y évoque surtout, à la veille de son suicide, cet indéfinissable sentiment qu’il éprouve pour elle, une «amère tendresse», avouée au détour d’une phrase, et qui semble contenir à elle seule l’oxymore d’une destinée.

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 26/11/2007 )
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