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Littératureet Biographies, Mémoires & Correspondances  

Jean-Patrick Manchette : Journal 1966-1974
de Jean-Patrick Manchette
Gallimard 2008 /  26 €- 170.3  ffr. / 639 pages
ISBN : 978-2-07-078149-2
FORMAT : 15,5cm x 22,5cm

Loin du polar, la vie

Jean Patrick Manchette : un nom qui résonne pour tous les amateurs de polars engagés et militants (Nada, Le Petit bleu de la côte ouest, La Position du tireur couché…), un auteur un peu à part, qui renouvela le style polar et la «série noire», en la dynamitant à coup d’idéologie et de politique. Paradoxalement, mais pas sans provocation, il revendiquait une littérature «pour lire dans le bain» et se réclamait de l’héritage de D. Hammett… En somme, le maître du roman social à la sauce polar.

Bref, un style, une référence et un passage obligé pour les amateurs du genre… Et bien Jean Patrick Manchette a tenu un journal, depuis l’âge de 23 ans (1966) jusqu’à sa mort en 1995, le tout sur une vingtaine de cahiers. Un journal que les éditions Gallimard ont entrepris d’éditer, un peu comme un ultime témoignage pour les amateurs du bonhomme. Avec le premier tome, qui couvre les années 1966-1974, on découvre un jeune homme révolté, lecteur vorace (philo, SF, polars, littérature classique, psychanalyse, politique… tout ce qui lui passe devant les yeux, de Marx à Elle magazine), critique féroce, intellectuel désabusé, citoyen irrité qui tente de vivre de sa plume et de son talent (avec des phases de dèche sévère), travaille pour le cinéma, la télé, fait des traductions… et écrit, douloureusement. Il y met beaucoup de lui, de sa vie, de ses lectures, de ses révoltes aussi… un journal un peu atrabilaire, et très moderne qui dévoile un tempérament, une hargne et une envie de réussir. Lecture indiscrète…

Déjà, c’est un journal intime, c’est à dire un objet un peu bizarre, écrit au jour le jour, sans forcément de cohérence, à coup de réactions, d’instinct : pas de récit ici, mais des éclats, des morceaux, un portrait à recomposer, au risque de la reconstruction. Un texte qui se picore, où l’on trouve des perles et de l’écume. Alors c’est forcément un peu déroutant, parfois délirant (Manchette, grand lecteur, a la dent féroce et sait déchiqueter quelques beaux morceaux d’hypocrisie littéraire ou philosophique : à cet égard, les avis sur Sartre sont un bonheur), parfois décevant (mai 68 : quelques lignes et guère de curiosité, une révolution «devenue triste» en juin… tout est dit)… Rapidement, on se retrouve face à l’écrivain, qui découpe des articles dans la presse au fil de ses inspirations ou de ses indignations, le militant d’extrême gauche vaguement en retrait, plus critique que motivé, situationniste pour faire chic autant que par instinct.

L’ouvrage plaira aux fans, comme une gigantesque matrice, une machine bizarre, cabossée, avec des parties brillantes et des morceaux déglingués… la machine dont sont sortis quelques grands titres (il entre dans la série noire en 1971)… Les amateurs d’histoire littéraire y trouveront également matière à réflexion, sur la création et sa difficulté (Manchette n’est pas un pisse copie : pour lui, écrire, c’est polir des phrases, constamment). Une difficulté toutefois (ou un regret) : l’ouvrage ne présente aucune note, aucune explication, pas de biographie… du matériau brut. C’est un choix méthodologique, la volonté de garder au texte sa fraîcheur, mais c’est un tantinet dommage et le texte en demeure parfois assez obscur aux non-initiés. Peut-être Manchette attend-il maintenant son biographe ?

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 18/06/2008 )
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