L'actualité du livre
Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

Céline
de Philippe Muray
Gallimard - TEL 2001 /  9.16 €- 60  ffr. / 252 pages
ISBN : 2-07-041356-X

Céline total

Pour Céline, ce manuscrit du Voyage au bout de la nuit vendu des millions à la BNF : est-ce la sortie du purgatoire ? On imagine Philippe Muray, "grand lecteur" de Louis-Ferdinand, jubiler ; enfin, peut-être. Car il est assourdissant, ce silence sur LA question, Céline et l’antisémitisme. Du coup, on sent sourdre une certaine inquiétude : séparer le pamphlétaire immonde du romancier génial n’a pas sens, et dénature même la raison littéraire. Alors, on s’inquiète : et si cette opération (le rachat du manuscrit) menée par quelques esprits authentiquement littéraires n’était qu’un coup isolé, bref, un accident sans lendemain ?

"Le nom de Céline appartient à la littérature, c’est à dire à l’histoire de la liberté. Parvenir à l’en expulser afin de le confondre tout entier avec l’histoire de l’antisémitisme, et ne plus le rendre inoubliable que par là, c’est le travail particulier de notre époque, tant il est vrai que celle-ci, désormais, veut ignorer que l’Histoire était cette somme d’erreurs considérables qui s’appelle la vie, et se bercer de l’illusion que l’on peut supprimer l’erreur sans supprimer la vie. Et, en fin de compte, ce n’est pas seulement Céline qui sera liquidé, mais aussi, de proche en proche, toute la littérature, et jusqu’au souvenir même de la liberté".

Conservateur, Philippe Muray ? Comme lui même l‘écrivait dans Désaccord parfait, de notre époque il n’y a rien à conserver… La formule est un peu facile, mais on a compris la boutade. Réactionnaire, vieux c. ? Alors quoi ! Et si l’on se trouvait face au dernier des mohicans de la lecture ? Pas celle du divertissement, de l’huile solaire et des best-seller de l’été ; ni des opérations coups de poing marketing façon Beigbeder ou Catherine Millet. Mais de cette délicate histoire de notre civilisation du verbe. Quand l’écrit est passé à la moulinette de la bienséance et de la bien-pensance, étouffé sous les euphémismes de la "société festive" et de ses clercs, proscrit par les diktats de la religion progressiste (cf. Le XIX ème siècle à travers les âges, de P. Muray) – il reste George Steiner, Annie Le Brun, Philippe Muray – on les compte sur les doigts d’une main, ces hommes des lettres libres.

Philipe Muray lecteur de Céline, et l’on pense aux paroles de Steiner sur le rôle – la vocation - du vrai critique littéraire, comme défricheur ; gloseur ; commentateur. Il faut avoir non seulement du style, un ton, mais également une vision, un projet : tel est le cas pour Muray. Le vrai critique littéraire est aussi celui qui, lisant, écrit en marge – Qui fait de la lecture un acte tout sauf passif, et entretient un rapport vivant avec l’auteur. Le tableau de Chardin Le Lecteur que décrit Steiner dans ses Passions impunies – on peut l’imaginer, dans sa version moderne, avec Philippe Muray ; qui aurait troqué la toque d’astrakan et la robe d’intérieur façon tissu flamand, pour le treillis du combattant du verbe. Afin de donner un grand coup de pied dans la base de "l’idole moderne et disperser les pullulantes souris qui s’y cachent" - rappelant que la littérature est avant tout un formidable moyen de subversion, d’empêcher de penser en rond.

Vianney Delourme
( Mis en ligne le 04/07/2001 )
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