Littérature
Essais littéraires & histoire de la littérature de George Steiner
Gallimard - NRF Essais 2011 / 20 €- 131 ffr. / 283 pages
ISBN : 978-2-07-013407-6
FORMAT : 14,2cm x 20,4cm
Pierre-Emmanuel Dauzat (Traducteur)
Lire, penser
Considéré comme l’un des derniers grands intellectuels européens, George Steiner nous amène dans ses nombreuses publications à nous interroger sur les fondements et la richesse de l’héritage culturel occidental. Poésie de la pensée est largement inspiré du séminaire animé en 2010 à l’Ecole Normale supérieure, intitulé «Poétique de la pensée», et dans lequel George Steiner étudiait les relations entre style et pensée, à savoir la manière dont un contexte linguistique influence une philosophie, mais également les moyens pour la littérature et le style d’exprimer le cheminement de la pensée.
Comme il en a l’habitude, George Steiner revient tout d’abord aux auteurs classiques gréco-romains. A Héraclite, dont le style poétique obscur exprime la contradiction et le mouvement de toutes choses. Puis à Platon, dont le récit de la mort de Socrate (dans Phédon) témoigne d’un véritable génie littéraire. Platon se méfiera pourtant des poètes et de la poésie qu’il juge dangereux pour la clarté du logos, au point de censurer le poète qui sommeillait en lui ; il sera en grande partie responsable de l’opposition durable dans la pensée occidentale entre style et pensée.
George Steiner démontre admirablement bien l’indissociabilité de la philosophie et de la littérature, en s’appuyant sur les écrits d’auteurs qu’on ne saurait réduire à l’une des deux disciplines. En effet, que dire de Bergson, prix Nobel de littérature en 1927 ? Ou de la place des romans et pièces de théâtre dans la pensée de Sartre ? A l’inverse, certains romanciers ont focalisé leur œuvre sur la pensée et les moyens de son expression, qu’il s’agisse de Musil, Thomas Mann ou du Monsieur Teste de Valéry. Nietzsche occupe également une place importante dans cette histoire intellectuelle, George Steiner commentant le style musical unique de son œuvre. Ainsi selon l’auteur, toute œuvre philosophique serait empreinte d’une poésie, d’une musique de la pensée. Cette Poésie de la pensée étudie en profondeur la question de la structuration et de la traduction linguistique de la pensée qui devient centrale au XXe siècle. On revient logiquement à Wittgenstein et au problème de l’imperfectibilité du langage, mais aussi longuement (sans doute trop pour certains) au cas de Heidegger.
George Steiner est parvenu à rendre compte dans ce livre des digressions effectuées lors de ses brillants séminaires. Le lecteur est transporté par la finesse de ses analyses et la richesse des citations. On pourrait cependant regretter par moments la surabondance de ces références qui ont parfois le défaut de ne pas être expliquées, permettant uniquement la connivence de l’initié ou l’humiliation du néophyte (ce souci pédagogique différenciant la référence du simple name-dropping). Le support écrit aurait pourtant permis de développer certaines références orales. Après tout, cela participe peut-être au charme de ce livre qui rappelle l’enseignement d’un professeur brillant : on ne saisit pas tout, mais on en sort conquis.
Antoine Robineau
( Mis en ligne le 02/12/2011 )
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