L'actualité du livre
Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

La Voix et l'ombre
de Richard Millet
Gallimard - L'un et l'autre 2012 /  21 €- 137.55  ffr. / 205 pages
ISBN : 978-2-07-013666-7
FORMAT : 12cm x 20,7cm

Le silence et les fantômes

On ne présente plus Richard Millet, malgré sa relative discrétion, sans doute le plus grand écrivain de sa génération ; en tous les cas, le plus intéressant. Essayiste, romancier, pamphlétaire, éditeur, défenseur de la langue, il assure selon nous ce ce qu’il reste d’art et de culture dans le paysage littéraire français. Auteur prolifique, deux livres par an minimum sortent sous sa plume, il est cet écrivain passionnant et sanguin, à la prose à la fois autobiographique, critique et intimiste. Ce nouveau livre, sorte de recueil de pensées sur les notions de Voix et d’Ombre, participe à la construction d'une œuvre profonde, intelligente, sensible et actuelle.

Difficile tâche que de résumer, voire d’analyser une œuvre qui sort de toute classification littéraire et théorique. A la fois recueil aphoristique, journal de réflexion, historiette morale ou article musical, l’ouvrage parle de la voix, instrument musical, du moins sonore, lié à chaque individu, et de l’ombre de cet individu, corps absent, fuyant, passé, en tous les cas enfoui et réapparaissant de manière spectrale. Chacun de ces deux morphèmes apparait dans ces 104 textes mystérieux et envoûtants du projet. Envoûtants de par la langue de Millet, plus simple, plus dépouillée qu’il y a quelques années, mais aussi par l’importance des thèmes évoqués : le chant, la mort, la douleur, la douceur, l’émotion, la cristallisation, l’absence, le deuil, la musique, bref ces éléments du quotidien qui font que notre vie ne ressemble pas tout à fait à rien.

Comme il l’avait déjà fait dans des textes somptueux comme L'Amour mendiant (1996) ou peut-être le plus beau livre de ces dernières années, L'Orient désert (2007), le fragment compose une sorte de partition littéraire qui, à la manière parfois d’un Jean Clair, nous désillusionne sur le monde contemporain et nous enrichit sur l’art de composer un texte. Horreur de la technique, critique de la culture de masse, enchantement devant les grands textes littéraires et sacralisation de la musique ; voilà en gros la constitution de cet essai, truffé de références, de musiciens, auteurs et femmes. Ce qui plait également, c’est ce partage avec ces notions qui font oublier le monde dans lequel nous vivons (''Le monde sordide'', diraient les surréalistes). Chez Millet, la superficialité est non seulement absente mais elle est à proscrire. Chaque mot, chaque idée, chaque intonation renvoie à quelque chose de fort, de puissant, d’important à évoquer.

Enfin, ce texte s’apparente davantage à une ultime réflexion sur l’art, le langage et le drame qu’est d’aimer, le tout brillamment porté par ce style qui enchante et foudroie. C’est en fait un essai obsessionnel sur l’immatérialité des êtres et des choses rendues un peu moins vaines grâce à l’écriture. Et l’écrivain existe pour cela, pour se le rappeler, pour le signifier, pour l’expliquer, pour le comprendre et pour le transmettre. Ou comment signifier la grâce et la beauté… Encore un point gagnant pour Millet.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 17/02/2012 )
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