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Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

Le Livre des métaphores - Essai sur la mémoire de la langue française
de Marc Fumaroli
Robert Laffont - Bouquins 2012 /  30.50 €- 199.78  ffr. / 1120 pages
ISBN : 978-2-221-10739-3
FORMAT : 13,2 cm × 19,8 cm

L'expérience du réel par le mot

Marc Fumaroli est un grand écrivain, professeur honoraire au Collège de France et membre de l'Académie française. Féru de la langue française, il a consacré de nombreuses études à la rhétorique antique et moderne (La Diplomatie de l'esprit : de Montaigne à La Fontaine, Hermann, 1995 ; Quand l'Europe parlait français, Éditions de Fallois, 2001). Il est aussi l'auteur de L'Etat culturel, ouvrage dans lequel il critique le rôle interventionniste de l’état dans la promotion d’une culture subventionnée et conformiste. Marc Fumaroli nous convie ici à un voyage dans la langue française et principalement à travers la métaphore. Le mot vient du grec ancien et désigne le transfert purement mental d'un mot, ou d'une expression, de son sens premier, ou propre, à un sens second, ou figuré.

L'auteur a choisi de ranger ces nombreuses métaphores par lieux (le corps, la ferme, le château, la chasse, la guerre, la marine, etc.), au lieu de les soumettre à un ordre alphabétique, invitant le lecteur à un voyage à travers une France quasi disparue. S'inspirant de Claude Duneton dans La Puce à l'oreille, Marc Fumaroli écrit dans la préface : «Sur ses traces j'ai tenté d'être plus complet et de présenter un classement plus ample et un paysage plus vaste et mieux construit. J'ai donc remplacé l'arbitraire alphabétique en regroupant dans les champs sémantiques dont chacun relève les expressions figurées qui forment famille, et famille habitant un même lieu imaginaire qui fut autrefois réel. J'ai cru pouvoir rendre raison de chacune en la renvoyant selon les cas à une aire d'expérience quotidienne et circonscrite, vécue ou imaginable par le locuteur comme par l'auditeur (la chasse, la guerre, les jeux, la marine, la vie urbaine), ou bien à une expérience ancienne, non moins circonscrite, mais disparue ou en voie de disparition (la ferme et ses annexes, l'artisanat et ses outils, le cheval et le voyage en voiture à chevaux), si bien ancrée toutefois dans la mémoire de la langue qu'elle y est demeurée, offrant à nos expériences actuelles une référence tacite et un point de comparaison caché».

Nous assistons à un feu d'artifice d'occurrences, chacune agrémentée d'une citation d'un auteur. Quel fabuleux travail ! Il suffit de prendre le temps de la réflexion, ne serait-ce que quelques secondes, pour avoir présent à l’esprit la prodigieuse richesse de la langue française en matière d’imagerie verbale, que nous utilisons chaque jour, le plus souvent à notre insu. Cette métaphore s'ancre à l'évidence dans la réalité qu'elle retraduit en mots de façon à faire entendre le plus concrètement possible, par une image, la réalité matérielle de l'expérience. Il n'y a pas de preuve plus évidente de la beauté d'une langue que cet ancrage-là car l'être humain ne s'inscrit dans le réel qu'à travers la langue. Massacrer la langue ou le langage (par les SMS ou autres raccourcis par exemple), c'est être indigne de soi et ne pas être à l'écoute de l'expérience que l'on vit. Marc Fumaroli ajoute : "Or c'est surtout l'expérience universelle et sensorielle du corps humain, la présence insistance de la végétation et des animaux, notamment les chevaux et les proies du chasseur, mais aussi celle d'artefacts humains rivalisant en simplicité, raffinement et vie sensible avec les productions de la nature, qui fournissent leurs référents concrets aux mots qui sans eux ne savent ni faire "sauter aux yeux", ni "toucher du doigt"".

"Mettre du baume au cœur", "Avoir la berlue", "Se porter comme un charme", "Se refaire une virginité", "Faire son miel de quelque chose", "Avoir bon dos", "Avoir du plomb dans l'aile", ou encore "passer un savon", on pourrait énumérer des centaines et des centaines de métaphores qui traduisent non seulement le concret de l'expérience mais sa traduction imagée. Évidemment, on doit aux grands romanciers, par leur style et leur invention, de poursuivre, à travers la langue, la beauté et la brutalité de l'expérience existentielle de l'homme face au monde.

Ce livre veut donc donner un panorama le plus complet possible sur ces métaphores et leur présence si ancienne dans la langue française. Un livre prodigieux et indispensable pour tout amoureux de la langue.

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 27/04/2012 )
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