L'actualité du livre
Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

Les Filles de rêve
de Alain Corbin
Fayard 2014 /  18 €- 117.9  ffr. / 175 pages
ISBN : 978-2-213-68084-2
FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm

Filles séduisantes

Un beau titre et un beau sujet : les «filles de rêve», ces images féminines qui ont durant des siècles alimenté l’imaginaire masculin occidental, de façon purement platonique… En général vierges, toujours chastes et belles, pudiques, inaccessibles à divers titres, souvent sveltes et plutôt blondes, évanescentes, proches de la Nature, Alain Corbin les fait défiler tour à tour : Artémis/Diane, Daphné, Ariane, Nausicaa, Iseut, Béatrice, Laure, Dulcinée, la Belle au bois dormant, etc., pour terminer sur l’Yvonne de Galais du Grand Meaulnes. «Yvonne de Galais, innocente et grave, dont certains traits sont ceux d’une Diane de cette aube du XXe siècle, s’en vient clore notre cohorte de filles de rêve dont on aura, je pense, saisi la cohérence». Ainsi s’achève ce livre doucement nostalgique, d’une érudition jamais pesante, qui convoque le lecteur à une promenade enchantée, romantique et joliment décalée pour un jeune lecteur du début du XXIe siècle, pour qui ces «filles de rêve» sont créatures improbables.

Filles d’un autre temps qui alimentent les rêves d’hommes nourris de littérature classique, chacune a ses propres caractéristiques même si toutes ont en commun d’exister essentiellement dans le regard de l’autre ; à cet égard, la fille de rêve exemplaire est Dulcinée : «Hommasse, herculéenne, dotée d’une voix puissante, sans retenue aucune (…) inculte au point que Don Quichotte doute qu’elle puisse lire la lettre qu’elle lui écrit». Et pourtant, en cette créature sans charme aucun, repoussoir absolu, Don Quichotte, chevalier errant, voit «la plus grande princesse de la terre». Toutes ces filles de rêve sont imaginaires à l’exception de la Béatrice de Dante et surtout de la Laure de Pétrarque, la seule à être mariée.

Davantage sans doute qu’étude historique, ce Filles de rêve constitue un support à une réflexion sur l’imaginaire occidental, ce qui est le fond même de l’œuvre de ce grand historien du sensible qu’est Alain Corbin. Des Filles de noce (1978) aux Filles de rêve, Alain Corbin n’a eu de cesse d’explorer avec une érudition précise et une très belle écriture le vaste continent de notre imaginaire. Si ses travaux ont été davantage centrés sur le XIXe siècle, depuis quelques années il ouvre des horizons plus vastes, tels La Douceur de l’ombre (2013) dans lequel il s’interrogeait sur nos émotions face à l’arbre.

On imagine sans peine le plaisir qu’il eut à dresser cette liste de beautés lointaines, plaisir que le lecteur partage sans mélange.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 19/01/2015 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)