L'actualité du livre
Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

Saisons de papier
de Jean-Paul Enthoven
Grasset 2016 /  24 €- 157.2  ffr. / 637 pages
ISBN : 978-2-246-80290-7
FORMAT : 15,5 cm × 24,0 cm

Élégant bric-à-brac littéraire

Un énorme pavé de plus de 600 pages, qui réunit par familles (dandysmes, mélancolie, les grands vivants, la mauvaise réputation, héroïnes, etc.) les chroniques qu’écrivit tout au long de sa vie de critique littéraire Jean-Paul Enthoven, directeur éditorial chez Grasset. Il n’est pas certain que ces chroniques révolutionnent la critique littéraire, elles ont même souvent un petit air désuet. Elles sont aussi inévitablement le témoin des modes qui se succèdent.

En revanche, le charme agit à la lecture, une lecture qui se fait quasi nécessairement dans le désordre : c’est un livre où piocher, dans lequel se promener au fil de ses envies, de ses curiosités, un recueil qui excite le goût du voyeurisme : «Robbe-Grillet, professeur de lui-même (…) Le pontife est ébouriffé. Une sorte de Bacchus sortant de sa douche». Toute une galerie d’écrivains, vivants ou morts, quelques statues déboulonnées : «Grandeur et (im)postures de Saint-John Perse : artiste hautain, élégiaque et diplomate, dont l’existence (1887-1975) fut un roman glacé ? (…) dont les chants gonflés à l’hélium du mot rare (…)». Des titres flamboyants : «Léon Bloy attend les Cosaques et le Saint-Esprit», «L’homme qui ne s’aimait pas, de l’inconvénient d'être Cioran…». Un style classique et élégant, des formules heureuses.

On croise au hasard des pages Brantôme et Jacques Julliard, Fumaroli, Elsa Triolet, Mona Ozouf, nombre d’habitués des pages du Nouvel Observateur… Des chroniques de livres, mais également quelques souvenirs de rencontres et entretiens avec des écrivains ; au premier rang d’entre eux, Borges grinçant : «Alors, vous voulez que je déclare n’importe quoi ? Il ne tient qu’à vous car j’adore les questions stupides… Demandez-moi donc comment, moi, l’aveugle Borges je vois l’avenir du monde... Demandez-moi si l’audiovisuel annonce la mort de la littérature ou, mieux encore, si un jeune poète doit croire en Dieu… Sur de tels sujets, je suis capable, sans effort, de me hisser jusqu’aux sommets de l’ineptie…». Borges qui partage avec Céline une même réticence (pour ne pas dire davantage !) à l’égard de Proust, certes exprimée en termes différents… Sollers : «à jamais le même dans sa façon de picorer ici et là, de se croire sans cesse plus intelligent que la plupart de ses contemporains». Gala : «S’agissait-il, d’abord, d’une spéculatrice avisée ou d’une Walkyrie petite-bourgeoise ?». Roger Caillois : «Je crois que les idées neuves n’existent pas. Il n’y a que des idées qui, inlassablement, reviennent, récurrentes». Claude Lévi-Strauss : «Je n’ai jamais eu «envie» d’écrire un livre. Chaque fois, cela s’impose à moi-comme une punition…».

Bref, un ouvrage où butiner pour approuver, se souvenir, contester…

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 25/05/2016 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)