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Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

Les Ombres de Stig Dagerman - Paris 1947
de Lo Dagerman & Nancy Pick
Maurice Nadeau 2018 /  19 €- 124.45  ffr. / 193 pages
ISBN : 978-2-86231-270-5
FORMAT : 13,6 cm × 21,0 cm

Philippe Bouquet (Traducteur)

Origine de la création

Stig Dagerman (1923-1954), auteur suédois célèbre, suicidé à 31 ans, a écrit en 1948 L'Ombre de Mart, une pièce de théâtre qui s'inspire de sa rencontre avec Etta Federn (1883-1951), écrivain et cartomancienne allemande ayant fui le nazisme, puis engagée auprès des républicains espagnols. Il se trouve, en cette année 1947, à Paris, notamment pour écrire Printemps français, la suite d'Automne allemand, ouvrages traitant de l'immédiate après-guerre dans deux pays ravagés par six années de conflit.

Lorsqu'il la fréquente, Etta Federn est une femme vieillie, pauvre, qui demeure dans un hôtel miteux avec son fils. Elle est surtout en deuil d'un autre fils, Jean, résistant abattu en 1944 par la milice. Dagerman, alors en pleine créativité littéraire (en quelques années, il publie Le Serpent, Condamné à mort et plus tard, L'Enfant brûlé, Tuer un enfant), construit sa pièce sur un matricide : Gabriel, le fils rescapé, finit par tuer sa mère qui le maltraitait moralement.

Lo, la fille de l'écrivain, a créé un site littéraire dédié à l'œuvre de son père mort prématurément. C'est grâce à ce travail que Nancy, proche parente de Etta, la contacte pour rectifier une erreur biographique. Une correspondance s'ensuit entre les deux femmes qui cherchent à comprendre pourquoi Dagerman a fait de Etta un personnage négatif qu'il fait assassiner par son fils (dont l'image est moins reluisante que celle du frère, martyr de la résistance).

Lo et Nancy se retrouvent à Paris, là-même où Stig rencontra Etta, et se plongent dans les archives littéraires et familiales des deux protagonistes. Puis dans un travail conjoint, elles se mettent à produire le livre des aïeux. La question qui les obsède est de savoir pourquoi un auteur a fait d'une dame âgée, d'une résistante qu'il fréquente un temps, un personnage négatif qui finit par être assassiné par son propre fils. Ce dernier ne donne aucun indice probant sur la question, au fil d'un parcours somme toute banal, après la mort naturelle de sa mère.

L'ouvrage pose donc de multiples questions de type biographique, puise dans des archives familiales, propose des photos de l'époque et s'adonne à diverses interprétations. Cette psychanalyse mémorielle est à la fois passionnante (enquêter sur la création littéraire et faire ressurgir un passé enfoui troublent le lecteur devenu témoin privilégié des informations découvertes) et vaine (pourquoi vouloir à tout prix sortir de la création un personnage réel pour le réhabiliter ?).

Du coup, cette plongée dans les limbes créatives de Dagerman ne remplit pas toutes ses promesses. Certes, l'écrivain a fait de Etta un personnage de théâtre peu recommandable parce qu'il a dû voir la veille femme mal se comporter avec son fils, peut-être plus lâche, ou alors moins héroïque que le frère défunt. Et alors ? Faut-il enquêter pour comprendre la matrice d'une œuvre ? Et si l'on doit juger un auteur sur des suspicions ou des interprétations, quel est l'intérêt littéraire d'une telle démarche ? Idem pour un personnage de fiction. Un apaisement familial serait-il la seule cause de cette recherche ? Une réhabilitation généalogique, quelle soit pour l'écrivain ou ses personnages ?

Les Ombres de Stig Dagerman peut se lire pour deux raisons essentielles. Plonger dans l'œuvre inachevée d'un artiste prometteur et parcourir un livre très bien édité, avec des documents et photos qui rendent hommage aux deux protagonistes que rien ne devait réunir, si ce n'est leur engagement pour l'anarcho-syndicalisme d'avant-guerre. Quant au mystère, après lecture, il plane toujours sur cette pièce méconnue de Dagerman.

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 19/11/2018 )
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