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Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

La Pensée qui prend feu - Artaud le Tarahumara
de Michel Onfray
Gallimard - Blanche 2018 /  12 €- 78.6  ffr. / 112 pages
ISBN : 978-2-07-282107-3
FORMAT : 11,7 cm × 18,5 cm

Pompier pyromane

On se demande comment Michel Onfray peut être autant présent dans les médias, sur son site Internet, voyager par le monde, et écrire autant (plus d’une centaine d’essais depuis 1989). Le problème est que soit certains livres sont écrits rapidement sans être approfondis, soit ils comportent des erreurs étonnantes. Parfois, ses interventions sont erronées (sur Chomsky notamment).

Dans ce court essai, après Paul Gauguin et Victor Segalen (Le Désir ultramarin), Michel Onfray se lance sur les traces de l’écrivain Antonin Artaud qui, en 1936, effectua un voyage au Mexique pour conjurer la décadence de l’Occident et de l’Orient civilisés, voulant aussi échapper aux souffrances de son propre corps. Michel Onfray le cite : «Je suis venu au Mexique pour fuir la civilisation européenne, issue de sept ou huit siècles de culture bourgeoise, et par haine de cette civilisation et de cette culture».

Antoine Artaud, né à Marseille (1896-1948), est théoricien du théâtre, acteur, écrivain, essayiste, dessinateur et poète. Il a beaucoup écrit et dessiné, voyagé et consommé de multiples drogues, accablé par des douleurs physiques, suite, croit-on, à une syphilis héréditaire. Il subit des séries d'électrochocs lors d'internements successifs, et finit sa vie dans des hôpitaux psychiatriques. Ses délires ont servi aussi de tremplin à sa création artistique, comme le «théâtre de la cruauté» (Le Théâtre et son double) par lequel Artaud tente de «révolutionner» la littérature et le théâtre. Les générations de l'après-mai 68 - le théâtre américain, les situationnistes et le ''Living Theatre'' - se réclameront de ses théories.

En 1936, Artaud part pour le Mexique et se rend chez les Tarahumaras. Il découvre le peyotl et assiste à la Danse du peyotl. Ce cactus est utilisé pour ses propriétés psychotropes et hallucinogènes à des fins rituelles par les Amérindiens. Arthaud publiera plusieurs ouvrages sur le sujet : Un voyage au Pays des Tarahumaras, Le Rite du Peyotl chez les Tarahumaras et Supplément aux Voyages chez les Tarahumaras. Le problème de la véracité de ce voyage se pose néanmoins ; en 1932, l'auteur avait publié deux articles consacrés aux Galapagos et à Shanghaï... sans y avoir mis les pieds. Michel Onfray suit l’itinéraire d’Artaud et vit dans les conditions de son périple supposé.

Le souci est que visiblement Artaud ne découvre rien. Le philosophe le cite encore : «L’esprit indien se perd, et j’ai bien peur d’être venu au Mexique assister à la fin d’un vieux monde, alors que je croyais être témoin de sa résurrection». Onfray commente : «Et il avait raison». Le philosophe explique qu’Artaud était venu au Mexique en pensant que ce pays allait permettre de régénérer l’Europe alors que c’est l’inverse qui a lieu ; le Mexique avait été contaminé par l’Europe. «C’était trop tard ; Artaud avait rêvé. Les missions jésuites sont en effet arrivées au XVIIIe siècle à Guachochi, la grande ville dont dépendait administrativement le territoire que je visitais. Ce qui veut dire que, déjà au temps d’Artaud, le ver chrétien était dans le fruit tarahumara depuis bien longtemps». Mais le problème est-il vraiment là ?

Car ce ne sont pas les chrétiens seuls qui ont ruiné le Mexique. Le court texte d’Onfray ne cerne pas suffisamment le contexte tragique de l’écrivain ni celui de son époque. Artaud, en fuyant la civilisation européenne, a d'une certaine façon participé aussi à son déclin. Il s’en prend à la culture sans viser en premier lieu les responsables politiques et économiques de ce déclin. Dans Le Théâtre et son double, il proclame l’anéantissement de la culture occidentale, dont les avant-gardes, et le surréalisme dont il se revendique, portent la responsabilité.

Peut-on d'ailleurs sauver une civilisation par la folie, le délire ou la drogue ? En venant au Mexique, Artaud n’allait pas rencontrer une culture mythique qui allait lui offrir une rédemption, mais au fond poursuivre sa tragique méprise, cette recherche fantasmatique d’autres cultures pour y trouver une espèce de régénération, par haine de la culture occidentale. L’erreur d’Artaud est d’avoir voulu fuir sa culture «bourgeoise» par la folie, les expédients divers, le recours à l'irrationnel ou le mysticisme. Après avoir destitué cette culture, les intellectuels avant-gardistes de cette époque la détruisaient en annihilant ses codes. Cette civilisation ne serait pas régénérée, mais détruite.

C’est la faiblesse du livre d’Onfray que de ne pas analyser plus profondément cette époque, pour montrer les soubassements des dynamiques en jeu, dont Arthaud est un exemple.

Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 10/12/2018 )
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