L'actualité du livre
Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

Du corps à l'ouvrage - Les mots du livre
de Eric Dussert & Christian Laucou
La Table Ronde 2019 /  24 €- 157.2  ffr. / 288 pages
ISBN : 978-2-7103-8371-0
FORMAT : 12,6 cm × 19,5 cm

Le livre du Livre

. «Le charmant volume que voilà…», pense-t-on en s’emparant de ce livre à la maquette très étudiée, à dominante jaune sillonnée de fines lignes noires, frappée de grands caractère blancs. Mais à peine ouvert, la couverture se relâche et l’anatomie du dos se révèle, toute en nerfs et coutures… Tous les exemplaires de la pile présentent la même particularité ! N’y en a-t-il pas un seul de collé ? M’enfin, qu’est-ce qu’ils ont fichu, à la Table ronde ? C’était plus sérieux sous Laudenbach. On garde quand même l’objet en main, tant il est agréable au touché, et puis son projet est séduisant : offrir «une joyeuse collection de mots, de figures, de notions qui se lisent dans le désordre pour découvrir ou se souvenir de ce qui fait de la civilisation humaine une exception dans toute la galaxie». C’est juste qu’on en voudrait un mieux… fini. Et, soudain, l’on s’enverrait des gifles de ne pas avoir compris d’emblée : le supposé défaut de fabrication se mue en clin d’œil métadescriptif, la maladresse était concertée. On l’emporte donc, tel quel, convaincu de passer quelques heures gourmandes à le parcourir en tous sens.

Son caractère dictionnairique ou encyclopédique a beau être dénié en quatrième de couverture, le travail mené est remarquable d’érudition, indispensable à quiconque se pique de bibliophilie, -manie ou -lâtrie. Éric Dussert – figure omniprésente, du Matricule des Anges à la Quinzaine littéraire, de L’Arbre vengeur à Gallica, et qui, contrairement au dos de cet opus, est incollable en la matière – et Christian Laucou – dont on devine l’amour aussi passionnel qu’intelligent du livre derrière sa présentation résolument modeste – nous offrent là un authentique «nécessaire de lecture».

Le profane s’y réfèrera quand il cherchera à déterminer le format ou le grain d’un papier, le corps (plus sensuel que «police», n’est-ce pas ?) d’un caractère, la catégorie d’un imprimé… Une fois mué en amateur éclairé, il y retournera si, vieillesse ennemie, il se prend à hésiter sur le sens des mots colophon, morasse ou hamapolygrammatique. Il s’y éblouira indéfiniment d’apprendre tant de choses après des années, des décennies de coupable ignorance ; l’origine de l’expression «à la six-quatre-deux» y est révélée. Et quelle délectable poésie aussi au Royaume de typographie, où «l’espace» devient féminine, où les poignards sont anglais et à usage strictement bibliographique, où le polichinelle, le larron, le monstre, le canard, le boche, le papillon ne sont pas ceux qu’on croit. Les héros qui peuplent ce domaine sans fin ? Georges Auriol, Karl Baedeker, Giambattista Bodoni, Claude Garamond, Sébastien Cryphe, Alde Manuce, Adrienne Monnier, Auguste Poulet-Malassis, Jan Tschichold, Maximilien Vox, Béatrice Ward… Autant d’inconnu(e)s sans qui pourtant serait bien différent notre rapport à cette invention d’exception, vitale, si essentiellement humaine : le Livre, jamais assez majusculé, jamais assez louangé, jamais assez protégé.

En voilà un que vous n’oublierez jamais, fussiez-vous le dernier des bibliolathes…

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 03/04/2019 )
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