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Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

L'Homme aux trois lettres - Dernier royaume - Tome 11
de Pascal Quignard
Grasset 2020 /  18 €- 117.9  ffr. / 192 pages
ISBN : 978-2-246-82487-9
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm

Le Sentiment de la langue

Pascal Quignard (né en 1948) est l'auteur de romans et d'essais dont certains ont rencontré le succès. Citons les plus connus : Le Salon du Wurtemberg (1986), Tous les matins du monde (1991), L'Occupation américaine (1994) - tous deux adaptés au cinéma par Alain Corneau -, ou encore Le Sexe et l'effroi (1994).

Quignard écrivait dans Les Âmes errantes, prix Goncourt 2002, afin de définir son œuvre à venir : "Il y a vingt ans j’ai composé les huit tomes des Petits Traités. Dernier royaume est un ensemble de volumes beaucoup plus étendu et étrange. Ni argumentation philosophique, ni petits essais érudits et épars, ni narration romanesque, en moi, peu à peu, tous les genres sont tombés. Enfant, durant toute mon enfance, chaque nuit, je tournais la tête du crépuscule jusqu’à l’aube. Cela me paraissait beaucoup plus intéressant que dormir. C’était peut-être un signe de carence mais cela m’excitait. C’est vraiment une tête qui tourne à toute allure que ces volumes. Un éclair de tête. Ce n’est pas un jugement sur le temps ou le monde ou la société ou l’évolution humaine : c’est le petit effort d’une pensée de tout. Une petite vision toute moderne du monde. Une vision toute laïque du monde. Une vision toute anormale du monde."

18 ans et 11 volumes plus tard, Quignard propose en cette rentrée 2020 L'Homme aux trois lettres et prolonge sa réflexion dans ce genre inclassable qui est devenu un genre à part entière dans la littérature moderne : le recueil de pensées, de fragments, d'apophtegmes. Si la lecture est souvent passionnante, il n'est pas aisé d'y puiser un axe de réflexion, une synthèse, une idée maîtresse tant ce contenu éclaté puise dans tous les registres. C'est tout de même la littérature qui intéresse notre auteur en premier lieu ; là où le temps se rompt ou se distord, là où le rapport à l'autre s'établit dans une identité littéraire proche du secret et du mystère, transcendant pour le lettré, indescriptible pour l'ignorant. Il faut remonter aux temps anciens et au latin pour comprendre l'origine de la langue, de l'oralité, puis de l'écrit. Quignard, en érudit solitaire, livre ce type de réflexions sur la réception des textes, pour lui tous sacrés. Des centaines de "caractères" où l'intime rencontre l'universel, où le particulier côtoie le général, où le prosaïque se fait parfois poétique. Quignard, écrivain total, transmet son savoir dans un style à la fois humble et profondément incarné.

On y croise Saint Augustin, Marie (qui vécut onze ans après la crucifixion de son fils qu'elle refusa de voir ressuscité), L'Ange Gabriel, Mahomet, Benveniste, Pascal, mais aussi l'auteur lui-même dans des anecdotes qui illustrent sa quête intime et littéraire. Les définitions de la littérature ne manquent pas, toujours sous forme d'apophtegmes : "Écrire plonge la pensée dans l'infini sans autrui./ Écrire ne rencontre l'extériorité que comme expression infinie, une transcendance sans visage, un voyage sans retour, une extase".

Ce onzième volume ravira les connaisseurs, surprendra les profanes, et ennuiera les incultes ! Reste que Grasset est un éditeur courageux pour proposer au grand public ces pensées à une époque où plus rien ne se prête à ce type de littérature : exigeante, sans concession, bref anti-commerciale voire anti-système !

Simon Anger
( Mis en ligne le 07/09/2020 )
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