L'actualité du livre
Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

Céline épistolier - Ecriture épistolaire et écriture littéraire
de Sonia Anton
Kimé 2006 /  25.00 €- 163.75  ffr. / 263 pages
ISBN : 2-84174-384-5
FORMAT : 14,5x21 cm

Je vous écris à bâtons rompus…

«Je suis de la vieille tradition des écrivains français à travers l’histoire, je dis des véritables écrivains, toujours irrévocablement traqués.» Cette confession de Céline, on ne la rencontre pas dans la trilogie d’après-guerre ni dans Féerie pour une autre fois, mais dans une lettre datée de 1949, alors qu’il suit, de Copenhague, l’évolution de ses aléas judiciaires et des décrets d’amnistie en France.

À maints égards – on pense d’emblée à Flaubert ou Artaud –, la fonction de la missive est cruciale pour comprendre les mécanismes créateurs et établir le lien entre fiction et vécu. Sonia Anton, jeune Docteur en littérature française, s’est plongée au cœur de la correspondance célinienne, un vaste corpus (pas moins de 4000 textes, brouillons ou fragments) d’ailleurs loin d’être clos, puisque l’on en édite régulièrement des ensembles longtemps dissimulés – le prochain, très attendu, étant les échanges avec le Pasteur Löchen.

Aborder le Céline épistolier nécessite de distinguer plusieurs périodes dans une biographie mouvementée : celle qui entoure la parution de Voyage au bout de la nuit et de Mort à crédit, marquée par les échanges avec Robert Denoël, la secrétaire Marie Canavaggia, les traducteurs, mais aussi le grand Élie Faure ou le copain Henri Mahé ; le moment pamphlétaire, où les lettres prennent parfois une dimension publique, dans la mesure où Céline en destinera certaines à de célèbres journaux collaborationnistes, en guise de réactions à l’actualité ; l’emprisonnement et l’exil danois, dont les interlocuteurs privilégiés seront principalement des avocats (Maîtres Mikkelsen, Naud, Tixier-Vignancourt, etc.), Lucette Destouches et l’indéfectible Albert Paraz ; enfin, la décennie de Meudon, durant laquelle on assistera à la joute des reproches, des injures et des colères avec la maison Gallimard, représentée par Gaston «Coffre-fort», Roger Nimier ou Jean Paulhan.

Sonia Anton s’est attachée à un travail extrêmement minutieux afin d’établir que Céline restait, dans ses épîtres, un immense écrivain, conservant des réflexes ou des attitudes scripturales déjà décelables dans ses œuvres. On cherchera pourtant en vain dans les épîtres qu’il adressa à ses nombreux destinataires, qu’ils soient des auteurs reconnus ou de simples familiers, un quelconque aspect programmatique, comme par exemple chez Rimbaud dans sa Lettre du voyant. L’activité épistolaire célinienne n’a en effet rien d’un laboratoire d’écriture, où se trouveraient en germe les scènes développées dans les romans. En se basant sur une analyse rhétorique serrée, Sonia Anton montre bien que Céline exploite toutes les ressources de son style et de sa «petite musique» dans ses textes privés. Les situations qu’il y évoque se verront cependant autrement amplifiées et transposées dans ses «ours».

Cette étude, même si sa lecture est parfois difficile de par son aspect universitaire, apporte donc un complément indispensable à la Poétique de Céline d’Henri Godard et ouvre de nouvelles perspectives à propos d’une figure qui semble décidément inépuisable. Elle donne surtout envie de se remettre à l’écoute de cette voix tonitruante, emportée, unique. Le défi est gagné.

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 08/03/2006 )
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