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Littératureet Classique  

Un livre à soi - Et autres écrits personnels
de Francis Scott Fitzgerald
Les Belles Lettres - Le goût des idées 2011 /  13,50 €- 88.43  ffr. / 320 pages
ISBN : 978-2-251-20010-1
FORMAT : 12,5cm x 19cm

Voir aussi :

- Francis Scott Fitzgerald, L’Effondrement, Éditions Payot et Rivage, Janvier 2011, 90 p., 5 €, ISBN : 978-2-7436-2182-7


L'auteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes. Enseignant à Casablanca, il est Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University). Auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (L’Harmattan, 2007), spécialiste de l’écriture de soi dans la littérature contemporaine, il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org.


Francis Scott Fitzgerald ressuscité

Il y a des écrivains morts trop tôt qui ne meurent jamais. Francis Scott Fitzgerald est de ceux-là. Mais s’ils ne meurent pas, certains d’entre eux s’égarent dans les rayons des bibliothèques et commencent à entrer dans un sommeil inquiétant. Francis Scott Fitzgerald aurait pu être de ceux-là mais l’heureuse initiative de la publication de ses écrits intimes, jusqu’alors inédits en français, à quoi s’ajoute la nouvelle traduction de Gatsby le magnifique (P.O.L), remet à l’ordre du jour un des plus grands écrivains américains du XXe siècle.

Un livre à soi et autres écrits personnels, traduit et présenté par Pierre Guglielmina, constitue la concrétisation d’un projet que Fitzgerald ne vit jamais abouti, celui de voir publié un ensemble de textes de nature autobiographique. L’auteur s’y serait confié, aurait relaté des souvenirs ou plus précisément des «réminiscences», ainsi qu’il le notait lui-même. Il avait la volonté, selon la jolie formule du traducteur, de «retrouver, en dépit de la tristesse et contre elle, un passé à la hauteur du présent, un passé qui tienne ses promesses à l’avenir». Ce projet était donc resté lettre morte, son éditeur de l’époque, Maxwell Perkins, ne trouvant pas là une cohérence suffisante. C’est que lui avait échappé «la raison supérieure, qui unit l’intensité personnelle à l’impulsion intérieure et redéfinit les notions même d’autobiographie, de fiction et de non fiction» que Pierre Guglielmina et Jean-Claude Zylberstein, directeur de collection, ont eux, bien saisi.

Dans les 48 textes ici réunis, on trouvera l’esprit du jeune Fitzgerald, son humour qui cache souvent un mal être, une mélancolie chronique, une incapacité au bonheur : «L’histoire de ma vie est celle d’un combat entre une envie irrésistible d’écrire et un concours de circonstances vouées à m’en empêcher», peut-on lire dans la première phrase du premier texte. Sont évoqués les déceptions, les frustrations, les finances, les excès, la dépression, la mort des proches, les rêves manqués, les lectures d’un homme de son temps qui fit tout pour connaître la gloire et la chute qui devait lui succéder, comme si l’une n’allait pas sans l’autre : «Toute vie, dans sa course, est un processus de décomposition». Sa vie se résume à ce qu’il dit de ceux de sa génération que nombre des personnages qui hantent ses romans et ses nouvelles incarnent : «Nous avons donc hérité de deux mondes – celui de l’espoir dans lequel nous avions été élevés ; celui de la désillusion que nous avons découvert nous-mêmes de façon précoce». Et c’est surement ce sentiment de désillusion qui amena Fitzgerald à rédiger ces textes, tentative de retrouver ce qu’il y a de plus précieux : «l’incommunicable passé».

Marque de l’intérêt que suscite actuellement Francis Scott Fitzgerald, les éditions Payot et Rivage publient indépendamment deux des textes présents dans Un livre à soi, dans une autre traduction et surtout dans une édition bilingue dont le but avoué est de permettre au lecteur de «s’initier de façon concrète et en même temps ludique à la dynamique propre à la traduction». Dans le premier d’entre eux, Veiller ou dormir, publié en 1934, l’auteur, nous dit la traductrice Elise Argaud, «décrit un trouble dans ses fonctions vitales, en l’occurrence le sommeil, qui s’étend plus largement au sens de sa vie». Pour tenter de rejoindre les bras de Morphée, le narrateur se plonge dans ses rêves de jeunesse inassouvis. Celui, tout d’abord, de devenir quaterback dans l’équipe de l’Université de Princeton puis le rêve de participer de manière héroïque à la Première Guerre mondiale. Mais voilà, les songes éveillés en pleine nuit ne changent rien. Ils ne sont que l’occasion de nourrir des regrets, des remords et de laisser libre cours aux angoisses qui prennent le dessus : «A présent l’horreur déferle comme un ouragan – et si cette nuit-ci préfigurait la nuit après la mort – et si tout l’après n’était que tremblement au bord du précipice». Le sommeil enfin retrouvé, très tôt le matin, est un soulagement. Mais un soulagement qui s’écrit, étrangement, comme l’on écrirait la mort elle-même «je sombre dans la paix, le néant […] mon âme s’envole au moment de l’oubli».

L’Effondrement (1936) évoque le malaise existentiel qui gagne progressivement Francis Scott Fitzgerald face aux difficultés financières mais aussi personnelles qu’il rencontre. Il en consigne toutes les manifestations – repli sur soi, léthargie, émotivité exacerbée, désillusions, perte de confiance – la lente avancée, ne prenant conscience que rétrospectivement qu’une «forme de résignation et de renoncement au bonheur s’est installée, lancinante, désespérante», ainsi que le note la traductrice dans son introduction. Fitzgerald en vient à accepter l’idée romantique que «l’état naturel de l’adulte doué de sensibilité est un malheur mitigé», et ainsi, à apprivoiser son propre malheur.

Cet ensemble de textes autobiographiques permet d’accéder à la part dissimulée de l’œuvre de Francis Scott Fitzgerald dans la mesure où, écrits «lorsque l’impulsion venait de l’intérieur», ils donnent à lire le «je» de l’auteur qui s’était jusque-là fondu dans ses romans. Et permettant d’accéder aux secrets d’un homme, ils éclaireront aussi d’un jour nouveau son œuvre, tout en la prolongeant.

Arnaud Genon
( Mis en ligne le 07/03/2011 )
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