L'actualité du livre
Littératureet Classique  

Les Epis mûrs
de Lucien Rebatet
Le Dilettante 2011 /  25 €- 163.75  ffr. / 378 pages
ISBN : 978-2-84263-645-6
FORMAT : 14,2cm x 20,5cm

Préface de Nicolas d'Estienne d'Orves

Heureux les épis mûrs…

Bien sûr, Lucien Rebatet, c’est avant tout le best-seller pamphlétaire Les Décombres… Une fois cela dit, est-il encore permis d’accéder à cet écrivain autrement que par le biais de la souillure idéologique qui le marque ? C’est en tout cas la gageure que proposent de relever les Éditions du Dilettante, en republiant un roman moins connu et moins volumineux que Les Deux étendards, mais dont la thématique est pour ainsi dire chevillée à l’âme de son auteur : la musique.

Les Épis mûrs, écrit entre juillet et octobre 1953, relate la destinée fulgurante et tragique du jeune Pierre Tarare, un Parisien chez qui très tôt se révèle un don pour la composition autant que pour l’interprétation. Né dans un milieu petit bourgeois, Pierre rechigne à se soumettre aux ambitions que son chapelier de père fait peser sur son incorrigible progéniture. Le gamin, tout en gammes et en partitions, sèche en effet ses cours et compromet son avenir tout tracé de polytechnicien pour ne se consacrer qu’à l’approfondissement de sa passion. Les rigueurs de l’internat même n’ont pas raison de son indiscipline ; Pierre parvient à regagner la capitale et se met à y côtoyer un cénacle d’artistes avant-gardistes qui reconnaissent en lui un talent supérieur aux plus grands noms contemporains. La guerre viendra brutalement interrompre l’ascension de ce surdoué : le blé en herbe qu’est Pierre Tarare est fauché en 1915, durant les atroces combats de l’Artois.

Ainsi résumée, l’intrigue de ce livre apparaît de facture conventionnelle, à la limite trop inactuelle pour encore «parler» au lecteur contemporain. C’est sans compter sur la puissance d’évocation de Rebatet, qui a donné au domaine littéraire français un équivalent du Docteur Faustus de Thomas Mann. Le savoir encyclopédique qui se déploie à propos de tout ce qui concerne Euterpe et ses adorateurs – et ce aussi bien sur le plan technique qu’esthétique – se mêle à une profonde réflexion sur l’idée de génie individuel broyé par l’Histoire collective. Rebatet met notamment en cause, dans un long finale violent, les aberrants choix stratégiques pris par l’État-major français, qui mèneront infailliblement à la boucherie que l’on sait. L’absurde cruauté de la destinée de Tarare n’en apparaît que plus clairement : la beauté qu’il portait au creux de son être n’a aucune chance de germer dans le terreau d’une telle folie humaine.

Nicolas d’Estienne d’Orves, en charge de l’appareil critique qui entoure cette périlleuse réédition, montre dans une belle postface à quel point le destin du personnage est le reflet contrapuntique de celui de son créateur, mais, mélomane plus qu’averti, Rebatet aura en outre développé avec ce roman une longue sonate au clair de l’art, où chacun pourra trouver son content. Dans une chronique à Rivarol, Albert Paraz l’écrivait bien : «Aux musiciens, je recommande de lire le livre de Rebatet, je le recommande aux demi-musiciens, à ceux qui ont peiné sur des gammes, je le recommande à ceux qui ne sont pas musiciens du tout. C’est un chef-d’œuvre incontestable qui ne peut laisser la plus petite déception». Maestro, c’est à vous…

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 15/06/2011 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)