L'actualité du livre
Littératureet Littérature Américaine  

Impurs
de David Vann
Gallmeister 2013 /  23,10 €- 151.31  ffr. / 278 pages
ISBN : 978-2-35178-061-9
FORMAT : 14,7 cm × 20,5 cm

Laura Derajinski (Traducteur)

Inferno

Comment des gens qui s'aiment peuvent-ils en arriver à se déchirer mortellement ? La question hante les trois romans de David Vann qui décrivent une lente montée vers un paroxysme tragique dont le lecteur ressent l'inéluctabilité dès les premières pages. Le romancier américain y raconte l'implosion d'une dyade, qu'elle soit conjugale dans Désolations ou parentale dans Sukkwan island (Prix Médicis étranger 2010) et Impurs, paru récemment. Trois huis clos d'une violence inouïe, qui s'achèvent sur un drame. Il n'y a pas de coupables chez David Vann, seulement des personnages brisés par une histoire familiale trop lourde à porter et qui soudain dérapent.

Ce sont la nature et les éléments qui viennent mettre en scène puis révéler ces séismes intérieurs. À l'enfer blanc et glacial de Sukkwan island et de Désolations, tous deux situés en Alaska, succède le dantesque brasier californien d'Impurs.

«L'air était irrespirable. Si brûlant que sa gorge était un tunnel desséché, ses poumons fins comme du papier, incapables de se gonfler, et il ne savait pas pourquoi il ne parvenait pas à partir tout simplement. Elle avait fait de lui une sorte d'époux, lui, son fils. Elle avait chassé sa propre mère, sa sœur et sa nièce, et il ne restait plus qu'eux deux, et chaque jour il avait le sentiment qu'il ne pourrait supporter un jour de plus, mais chaque jour il restait». Prisonnier d'une relation toxique avec sa mère, Galen, vingt-deux ans, a trouvé refuge dans la philosophie New-Age. Très mauvaise idée pour un jeune homme fragile psychologiquement ! De son désir de se détacher du monde naît en effet un vénéneux délire mystique et la quête spirituelle se transforme peu à peu en un absurde voyage sans retour.

David Vann, adepte convaincu du New-Age au sortir de l'adolescence, connaît bien les dangers inhérents à ce genre de plongée en soi-même. Il avoue d'ailleurs être devenu à cette époque un monstre d'égoïsme pitoyable. On sent par conséquent sous sa plume une certaine jubilation amusée à ridiculiser son protagoniste dans ses tentatives désespérées de fusion avec la nature. C'est en particulier dans le contact de son corps nu avec la terre que Galen cherche la transcendance, or le titre américain, Dirt, joue sur la polysémie (le mot signifie la terre mais aussi la boue et la saleté) soulignant ainsi un paradoxe intraduisible en français mais très révélateur.

Nu et ridicule, Galen l'est également lors de ses ébats peu concluants avec sa cousine Jennifer, perverse au possible, qui l'instrumentalise avec gourmandise. Il est difficile de déterminer s'il s'agit, de la part de la jeune fille, d'un simple jeu ou d'une volonté de nuire liée à un héritage de violence familiale qui engendre souffrances, rancoeurs et détestation viscérale. À l'origine, une violence physique et morale dont la grand-mère, battue par son mari, a été la première victime et qu'elle a voulu taire à ses deux filles sans doute pour les protéger. Les répercussions de ce non-dit s'avèrent malheureusement dévastatrices.

On retrouve donc dans Impurs, l'interrogation qui sous-tendait Sukkwan island et Désolations et qui a longtemps poursuivi David Vann après le suicide de son père lorsqu'il était adolescent. Peut-on échapper à ses démons et se libérer des traumatismes du passé ? Les personnages n'y parviennent pas mais en ce qui concerne l'auteur la réponse est différente. Il ne s'agit pas dans son cas de simple thérapie par l'écriture mais véritablement de rédemption.

David Vann ne se contente pas d'utiliser des événements personnels douloureux, il les transmute pour leur donner un sens et une sombre beauté. Une somptueuse alchimie du tragique.

Florence Cottin-Bee
( Mis en ligne le 31/05/2013 )
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