L'actualité du livre
Littératureet Littérature Américaine  

Prières pour celles qui furent volées
de Jennifer Clement
Flammarion 2014 /  20 €- 131  ffr. / 272 pages
ISBN : 978-2-08-131427-6
FORMAT : 14,5 cm × 22,0 cm

Ladydi du Mexique

Veuve Basquiat, le premier ouvrage de Jennifer Clement, qui vit à Mexico-City, était un texte fragmentaire mêlant faits et contes sur la muse du peintre Jean-Michel Basquiat, au centre de la vie artistique du New-York des années 80. Prières pour celles qui furent volées s'inscrit plus franchement dans la fiction romanesque. La narratrice, Ladydi (en souvenir de la princesse), adolescente de treize ans délurée et intelligente, nous décrit la vie et la débrouille des femmes et des filles dans la jungle de l’état du Guerrero au Mexique, des femmes qui refusent d’être les proies des barons de la drogue, ceux qui enlèvent les jeunes pour les violer, les prostituer et souvent les tuer. «L’idéal pour une fille au Mexique c’est d’être laide» (p.11).

Les filles sont habillées en garçons et, au moindre bruit de moteur, elles disparaissent dans des trous comme des lapins de garenne, malgré les serpents, les fourmis rouges et les scorpions, d’autant plus qu’il n’y a personne pour les protéger car les hommes sont tous partis tenter leur chance aux États-Unis, s’ils n’ont pas été tués à la frontière. Certains pères oublient les leurs et refont leur vie, les plus honnêtes envoient de l’argent à la famille restée au pays pour survivre. La vie scolaire est chaotique car les instituteurs sont des volontaires comme les travailleurs sociaux, les médecins, les infirmières qui terminent leur formation par ce stage. Qui voudrait rester dans cette jungle humide et chaude, où les gens sont obligés de se battre contre la nature et les cartels ? Qui, à part ceux nés ici ? «Dans le Guerrero, ce sont la chaleur, les iguanes, les araignées et les scorpions qui font la loi. La vie ne vaut rien du tout» (p.29).

Les vaporisations pour éradiquer les champs de marijuana empoisonnent toutes les terres et entraînent des malformations chez les enfants ; Maria a un bec de lièvre, elle sera opérée par des chirurgiens venus de la ville et protégés par la police. Chaque phrase est directe, puissante et inattendue : Ladydi nous raconte l’odyssée de Paula, une jolie fille qui, contrairement aux autres, a été libérée par ses ravisseurs ; elle reste chez elle, hébétée, nourrie au biberon par sa mère. Son aventure sert de catalyseur aux autres histoires, la répétition inexorable de vies broyées par la souveraineté et la corruption des cartels. Le seul exutoire à cette violence est la télévision qui diffuse des feuilletons américains où la vie est belle, et des documentaires.

L’écriture est électrisante en raison de son sujet, chaque scène est construite avec concision, une attention minutieuse aux détails que ponctuent aussi des prières, des répétitions, des incantations. Mais il y a de la luminosité, de l’humour dans le regard obscur de Ladydi, de la tendresse et de l’amour, comme ces fleurs en plastique scintillantes de guirlandes décorant un sanctuaire au bord de la seule autoroute conduisant à Acapulco. Jennifer Clement décrit la triste réalité d’un pays doux, sensible... et naufragé. Avec tous les plaisirs d'un bon roman, travaillant finement cette relation forte et tacite entre le lecteur et les personnages, et laissant une marque.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 25/08/2014 )
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