L'actualité du livre
Littératureet Littérature Américaine  

Retour à Cold mountain
de Charles Frazier
Grasset 2016 /  24 €- 157.2  ffr. / 560 pages
ISBN : 978-2-246-85607-8
FORMAT : 14,5 cm × 20,5 cm

Marie Dumas (Traducteur)

Difficile retour

Saluons la réédition de Retour à Cold Mountain publié aux États-Unis en 1997 et en France en 1999. S’inspirant d’un personnage réel, Charles Frazier reprend cette histoire pour en faire un très beau roman d’aventures et d’amour, un roman profondément pacifiste. La première phrase : «Au premier geste du matin, les mouches commencèrent à s’agiter. Les yeux d’Inman et la longue plaie qu’il avait au cou les attiraient et, quant à sortir un homme du sommeil, le bruit de leurs ailes et le contact de leurs pattes ne tardaient pas à se révéler plus efficaces qu’une basse-cour de coqs».

Inman se remet lentement dans un hôpital de campagne d’une sale blessure au cou. L’action se passe pendant la guerre de Sécession. Inman s’est enrôlé dans l’armée confédérée et quatre ans de guerre en première ligne le conduisent à douter sérieusement de la cause pour laquelle il s’est engagé. Aussi, avec autant de détermination qu’il en a mis à se battre, Inman décide-t-il de quitter l’hôpital et d’entamer le long chemin qui le ramènera chez lui, tout près de la frontière du Nord, à l’ouest de la Caroline du Nord, Cold Mountain, là où vit Ada, la fille du pasteur.

Tandis qu’Inman entreprend son long et périlleux périple, qu’il doit le plus souvent se cacher pour éviter d’être repris comme déserteur, qu’il multiplie les rencontres - hommes dangereux, sans foi ni loi, mais aussi êtres sans défense, désarmés par la guerre et le départ des hommes -, Ada, elle, doit faire face à d’autres difficultés. À la mort imprévue de son père, elle mesure à quel point elle est incapable de la survie la plus élémentaire, démunie du fait d’une éducation raffinée, éloignée de toute préoccupation matérielle. L’un comme l’autre se souviennent de courts moments heureux partagés, sans que nulle promesse mutuelle, nul lien n’ait été échangé. Depuis, ils ont entretenu une correspondance confiée aux aléas postaux en temps de guerre. Ce sont ces souvenirs qui vont les aider à tenir bon...

Charles Frazier mène les deux récits en parallèles : l’apprentissage d’Ada, aidée par la jeune sauvageonne Ruby, et la volonté d’Inman de rentrer à la maison. Trois personnages centraux, très différents : Ada la jeune bourgeoise éclairée, Inman l’ouvrier et Ruby, la fille des bois. Chacun des trois, à sa façon, peut être vu comme une image de l’Amérique héroïque. Davantage que de la psychologie des personnages, malgré tout un peu sommaire, la qualité du roman vient de la langue poétique pour dire la beauté du pays que traverse Inman, la vitalité de la nature. Inman s’inscrit ainsi dans la longue lignée des découvreurs, explorateurs, botanistes, scientifiques des décennies précédentes. Ruby, la «sauvage», est douée d’un instinct vital remarquable. Ada, elle, est une pionnière malgré elle, contrainte de tout apprendre. Jeune fille cultivée, élevée dans l’amour des classiques, elle garde aussi précieusement cet héritage, même si dans les temps de la violence guerrière, il peut paraître inutile. Chacun des trois personnages évolue au fil des jours, et repousse ses limites. Jusqu’aux dernières pages, le suspense demeure sur l’issue de l’aventure d’Inman et ses retrouvailles avec Ada.

Un beau roman, très supérieur à l’adaptation qu’en avait réalisé Anthony Minghella en 2003 avec Jude Law, Nicole Kidman et Renée Zellweger.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 13/07/2016 )
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