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Littératureet Littérature Américaine  

Le Chant des revenants
de Jesmyn Ward
10/18 - Domaine étranger 2020 /  7,80 €- 51.09  ffr. / 286 pages
ISBN : 978-2-264-07541-3
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication française en février 2019 (Belfond)

Charles Recoursé (Traducteur)


La pastorale américaine

Le Chant des revenants, couronné par le National Book Award, confirme la puissance du style poétique de Jesmyn Ward, déjà lauréate du prix pour Bois sauvage. Ce blues du Mississippi, inspiré par les peines et les fantômes d’une fragile famille rurale, fait vibrer les traces des drames de l’Amérique noire.

C’est son grand-père qui élève Jojo, 13 ans, et l’initie à l’histoire de sa communauté dans le Sud profond, où la ségrégation demeure de fait une réalité. Jojo essaie de comprendre ce que veut dire être un homme. Il a du mal à cerner sa mère, Léonie, égoïste, fragile qui essaie d’oublier le rejet absolu de ses beaux-parents, blancs suprématistes, et sacrifie les besoins de ses enfants, Jojo et la petite Kayla, 3 ans, pour trouver de la drogue. Quand elle est sous substances, elle est hantée par le fantôme et le souvenir de son frère Given, assassiné adolescent.

Michael, son mari, sort de prison, et Léonie embarque les petits et une copine pour le récupérer au pénitencier agricole de Parchman, où le grand-père noir a fait un séjour de nombreuses décennies auparavant. C’est une sorte de bagne en plein air, consacré aux travaux de la terre qui, créé en 1901, existe toujours ; il comprend une chambre pour les injections létales ainsi qu’un couloir de la mort. Toujours sous l’emprise du roi coton et de la haine des noirs, la ferme Parchman ressuscite la pire ambiance des plantations d’autrefois ; le Mississippi du roman rappelle le temps des lynchages, les chasses à l’homme, les châtiments extrêmes pour de petits larcins. Or Michael a été condamné à une courte peine. C’est là que le grand-père a connu Richie, un jeune garçon noir qui avait volé de la viande et qui fut maltraité et battu.

Trois voix alternent pour tisser l’intrigue : Jojo, Léonie et Richie dont l’esprit parle à l’oreille de Jojo. Le don de ce dernier pour voir et entendre les fantômes des autres victimes suppliciées dans les cimes des arbres donne à l’auteure l’opportunité romanesque d’élargir sans cesse les contours de son récit, de mêler les époques, de souligner les continuités dramatiques ainsi que la possibilité d’incorporer au réalisme cru de la peinture sociale, la condition noire aux USA. Le récit comprend une sérieuse dose de féerie avec les motifs symboliques d’une poignante méditation sur le sacrilège et l’expiation.

«Alors quand j’ai vu le serpent blanc, épais et long comme mon bras qui rampait hors de l’ombre des arbres, je me suis agenouillé devant lui.
Te voilà, il a dit.
Les aiguilles s’enfonçaient dans mes genoux.
Tu veux partir ? Il a demandé.
J’ai haussé les épaules.
Je peux t’emmener, il a dit. Mais il faut que tu le veuilles.
Où ? J’ai demandé. Le son de ma voix m’a surpris.
Tout là-haut, il a dit, partout»
.

Les fantômes et les esprits des morts dominent ce beau roman où les revenants dirigent les vivants par leur chant profond et éternel. Ce roman a été comparé aux grands classiques de Faulkner ou Toni Morrison. La question de la race est loin d’être éteinte aux USA où elle empreigne la littérature actuelle.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 07/02/2020 )
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