L'actualité du livre
Littératureet Littérature Américaine  

Propriétés privées
de Lionel Shriver
Belfond 2020 /  21 €- 137.55  ffr. / 449 pages
ISBN : 978-2-7144-7981-5
FORMAT : 14,0 cm × 22,5 cm

Laurence Richard (Traducteur)

Mon précieux

Peut-on récupérer un cadeau offert à un ami qui ne veut plus vous parler ? Peut-on revendiquer une place chez ses parents quand on est un adulte déjà bien avancé dans la vie (mais pas dans la vie professionnelle, loin de là : le syndrome Tanguy en somme) ? Peut-on même se réapproprier une existence, après avoir miraculeusement échappé à la mort ? Toutes ces questions, et bien d’autres, sont posées par Lionel Shriver dans une série de nouvelles très réussies, réunies dans un volume dédié aux Propriétés privées.

Avec le talent qui lui est coutumier, Lionel Shriver explore les marges de la propriété et, partant de là, les cas étranges et les ruses bizarres de la destinée : comment rencontrer l’homme de sa vie en luttant contre les plantes de son jardin, ou bien en détournant le courrier, comment relancer un couple en l’acculant à des difficultés financières impossibles à régler ? Les intrigues sont soit heureuses, soit tragiques, mettant en scène la diversité des sentiments de propriété, les plus anodins (sur une maison ou dans un couple) comme les plus étranges (tel l’escroc qui finit par se lasser du paradis qu’il s’est offert en arnaquant ses associés). Lionel Shriver dissèque donc de manière approfondie, avec un humour au vitriol, le sentiment de propriété, explorant des quotidiens anglais, ou américains, confrontés à cette problématique vaste.

C’est drôle, fin, subtil, avec une dimension psychologique assumée et d’autant plus plaisante qu’elle s’appuie sur des cas extrêmes. Et bien sûr, la morale et le happy end sont en option (c’est-à-dire rares) : on rit, et on rit autant du malheur des uns que de la mesquinerie des autres, on rit des calculs miteux comme des complots démesurés pour préserver un mug de collection ou un paquet de nouilles.

Après s’être penchée, dans un roman aussi jubilatoire que bizarrement précurseur sur la déroute financière des USA après une présidence populiste (Les Mandible), Lionel Shriver s’attaque à l’un des sentiments les plus complexes, celui de la propriété. En effet, la notion n’est pas si évidente : si un titre de propriété sur une maison, même hantée, peut conduire à quelques folies (dans la nouvelle Repossession), comment revendiquer la propriété d’un ami (Le Lustre en pied) ou d’un pays tout entier (La Sous-locataire) voire d’un passé qui n’est pas le vôtre et que vous avez subtilisé (Poste restante) ? Comment régler ses comptes avec des parents pingres (Taux de change) ou désireux d’intimité (Terrorisme domestique) ?

Dans ces douze nouvelles toutes aussi réussies et plaisantes, Lionel Shriver fait la démonstration d’un immense talent d’analyse (qui est également celui de la traductrice, très habile à restituer le style pince sans rire de l’auteur), au scalpel, des rapports humains dans toute leur diversité (et incongruité). Chaque nouvelle impressionne déjà par la maîtrise du style et du genre – humour noir et cynique – ainsi que par la profondeur des analyses et des portraits (en particulier la première nouvelle, d’une finesse proustienne).

Bref, un bon et grand moment de littérature et de détente.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 05/06/2020 )
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