L'actualité du livre
Littératureet Entretiens  

Entretien avec Imbolo Mbue - (Voici venir les rêveurs, Belfond, Août 2016)



- Imbolo Mbue, Voici venir les rêveurs, Belfond, Août 2016, 419 p., 22€ (Poche, Pocket, Septembre 2017, 498 p., 8,20€)

Rêver, sacrifier

Parutions.com : Quand avez-vous su que vous vouliez être écrivain? Y eut-il un moment clé? Quels sont les auteurs que vous admirez le plus et qui vous ont incitée à devenir écrivain?

Imbolo Mbue : Il n'y a pas vraiment eu de moment moteur. J'ai voulu écrire pour le plaisir d'écrire, et m'épanouir dans l'écriture. Cette envie d'épanouissement, je la dois à la lecture du Chant de Salomon de Toni Morrison. C'est le premier roman que j'ai lu d'elle et j'ai été tellement transportée par sa beauté et sa puissance que je me suis mise à écrire aussitôt le livre refermé. Elle est, c'est sûr, dans la liste des auteurs que j'admire ; mais la liste est longue et je peux tout aussi bien citer Gabriel Garcia Marquez, Ngugi wa Thiong'o, Jonathan Franzen, Junot Diaz, Gary Shteyngart, Pablo Neruda, Chinua Achebe, Isabel Allende, Kazuo Ishiguro, Jhumpa Lahiri, parmi d'autres.

Parutions.com : Comment Voici venir les rêveurs est-il né? Comment avez-vous construit l'histoire, et quels défis et accomplissements avez-vous rencontrés dans l'écriture? Aviez-vous un lectorat cible en tête au départ?

Imbolo Mbue : L'idée de l'histoire m'est venue en voyant à Manhattan des chauffeurs attendant à côté de leurs voitures noires devant des bureaux. J'ai rapidement compris qu'ils attendaient les cadres exécutifs sortant de l'immeuble, pour les amener ailleurs, qu'ils étaient leurs chauffeurs. Cette idée que certains new-yorkais pouvaient avoir des chauffeurs m'a intriguée. J'ai alors commencé à réfléchir au type de relation que ces hommes pouvaient avoir entre eux. Certains des chauffeurs avaient l'air de migrants africains, alors que la plupart des hommes en costumes étaient blancs. Je me suis donc intéressée à explorer comment les vies de deux hommes aussi différents pouvaient se croiser. Et comme les effets du crash boursier étaient encore très palpables à New-York, j'ai aussi voulu examiner les effets de la crise sur ces deux hommes et leurs familles. Ceci étant, je n'ai pas vraiment construit l'intrigue ni les personnages. Je me suis simplement mise à l'écrire et l'histoire m'a guidée d'elle-même. Les personnages me sont alors apparus au fil du processus. Le plus compliqué fut ensuite de devoir réécrire des dizaines de fois cette histoire. Mais c'est de cette difficulté que m'est venu le plus grand accomplissement : me sentir grandir comme personne, et développer mon empathie pour les autres, même pour ceux avec qui je ne suis pas d'accord. Pour ce qui est des lecteurs visés, je dois dire que je n'en avais pas en tête. Le roman est pour tous ceux que ce type d'histoire intéresse.

Parutions.com : On découvre à la lecture la culture et la vie quotidienne au Cameroun, à travers les descriptions de Jende. Quel rôle votre pays joue-t-il dans votre travail, et dans votre vie en général?

Imbolo Mbue : Et bien, je suis née et j'ai grandi au Cameroun et j'ai adoré mon enfance là-bas. Même si je vis à présent aux États-Unis depuis plus de dix ans, le Cameroun reste dans mon sang et je demeure fière d'être camerounaise. C'est un pays formidable, avec de magnifiques paysages, fort de sa culture, sa cuisine, sa musique, et de ses gens bien sûr. Parce que je suis attachée à mes origines, je voulais raconter une histoire du point de vue des gens que j'ai connus, de camerounais ordinaires. C'est la raison pour laquelle Jende et Neni viennent de ma propre ville, Limbe.

Parutions.com : Quels sont d'après vous les plus grands défis pour des migrants comme Jende et Neni? Dans le roman, la crise les emporte non seulement financièrement mais aussi spirituellement. Avez-vous connu les mêmes difficultés?

Imbolo Mbue : Je pense que le plus difficile est de se sortir de la misère en effet, et aussi d'obtenir des papiers. Mais ceux-ci ne règlent pas tout et la vie reste très dure pour des migrants avec papiers, surtout s'ils n'ont pas fait d'études. Jende et Neni ressemblent aux migrants que je connais, qui sont arrivés en Amérique gonflés d'espoirs et qui ont vite compris que la route vers le Rêve Américain est longue et très dure. Ceci dit, ce rêve existe ; tout dépend des sacrifices que l'on est prêt à accomplir pour l'atteindre. La crise a imposé ce sacrifice à Jende et Neni. J'en ai souffert aussi. J'ai perdu mon emploi et je suis restée longtemps ainsi. Jusqu'au jour où j'ai vu ces chauffeurs en bas d'un immeuble et que je me suis mise à écrire cette histoire.

Parutions.com : Vous expliquez qu'écrire ce roman vous a pris cinq ans? Avez-vous traversé des moments de doute, la peur de la page blanche? Avez-vous partagé cela avec vos proches?

Imbolo Mbue : Je n'ai pas vraiment ressenti cela mais il y eut des moments où j'ai délibérément arrêté d'écrire pour réfléchir à l'histoire. L'écriture, pour moi, est un sanctuaire. Même si je ne suis pas au mieux de ma forme, m'asseoir et écrire m'apporte une grande joie. Quand à ma famille et mes amis, je ne les ai pas impliqués dans le processus. Certains ont simplement pu lire le livre quelques mois avant sa publication.

Parutions.com : Pensez-vous que les femmes ont de plus grandes chances de sensibiliser l'opinion sur ce type de situations et d'injustices?

Imbolo Mbue : Je crois que nous vivons une époque où la voix des femmes est plus forte que jamais et qu'on les écoute. C'est une chose merveilleuse. Plus nous entendrons des histoires et des témoignages différents, plus grandes seront nos chances de nous comprendre les uns les autres et de combattre les injustices sous toutes leurs formes.

Parutions.com : Vous avez fait vos études à Rutgers University et Columbia. Pouvez-vous nous parler de votre expérience comme étudiante? Avez-vous rencontré des difficultés à vous intégrer dans la société américaine?

Imbolo Mbue : Mes années à Rutgers furent merveilleuses. Je m'y suis fait des amis formidables, de différents milieux, et certains restent mes amis les plus proches. Mon expérience à Columbia a été plus difficile, parce que je travaillais en parallèle de mes études, avec des cours le soir essentiellement. J'étais assez fatiguée. Mais j'ai beaucoup appris et je crois que mon temps là m'a permis d'affronter avec plus d'assurance des questions sociales difficiles. Quant à l'intégration dans la société américaine, j'ai eu ma part de challenges, en tant que noire et que femme. Le racisme et le sexisme sont toujours présents en Amérique et j'ai souffert de cela à plusieurs reprises. Mais dans l'ensemble, mon expérience aux États-Unis est positive et je suis fière d'être à présent citoyenne américaine.

Parutions.com : Travaillez-vous actuellement sur un nouveau livre et pouvez-vous nous en parler?

Imbolo Mbue : Non, pour l'instant, je tire simplement un grand plaisir à parler du roman que je viens de publier.

Parutions.com : Merci.

Propos recueillis en anglais en Juillet 2016 par Yujia Liu (Traduction, adaptation : Thomas Roman)
( Mis en ligne le 29/08/2016 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)