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Littératureet Entretiens  

Un entretien avec Pierrette Fleutiaux



« Ce qui m’intéresse, c’est l’alter ego »

A l’occasion de la sortie de son nouveau roman, Les Amants imparfaits, Pierrette Fleutiaux était invitée à la manifestation littéraire « Feuilles d’automne », organisée à Paris, au Sénat les 3 et 4 septembre. Pour Parutions.com, elle a répondu à quelques questions sur son nouveau livre.

Parutions.com : Dans un de vos précédents romans, Nous sommes éternels, les personnages principaux sont un frère et une sœur, comme dans Les Amants imparfaits. Pourquoi ce thème récurrent ?

Pierrette Fleutiaux : Ça m’intéresse beaucoup parce que c’est le début de la vie, le moment où toutes les sensations, les impressions, s’impriment avec force. Et ce qui m’intéresse aussi, c’est l’alter ego, le frottement des êtres au plus proche, la façon dont les gens se reconnaissent, très mystérieusement, à ce qu’il me semble.

Parutions.com : C’est un peu l’histoire d’un coup de foudre ?

Pierrette Fleutiaux : Oui, c’est l’histoire d’une double adoption, celle d’un jeune homme renfermé, un peu timoré, qui vit dans une province reculée, par deux jumeaux, un garçon et une fille. Et cette adoption est réciproque. Ces jumeaux sont extrêmement différents de lui. Ce sont des enfants de la jet-set internationale. Ils sont constamment dérangés dans leur apprentissage des règles, puisque leurs parents voyagent sans cesse d’une capitale à une autre. Du coup, ils se sont d’autant plus reportés vers leur univers intérieur qui est très intense puisqu’il se fait autour d’un secret ; un secret d’autant plus puissant qu’il est anténatal...

Parutions.com : Cette notion de secret est très clairement exprimée par le choix de l’illustration sur la couverture du livre, où l’on voit une jeune fille poser un doigt sur sa bouche. Elle y est même peut-être plus évidente que dans le roman même…

Pierrette Fleutiaux : Ce n’est pas ce qu’on appelle un secret de famille. C’est un secret qui leur est très personnel et qui s’est constitué avant leur naissance, dans le brassage mystérieux des cellules. Sur un autre plan, c’est un pitoyable secret d’enfant, mais qui pour eux s’avère très fort. Il explique leur adoption, somme toute improbable, de ce garçon.

Parutions.com : De nombreux films ont traité de la gémellité de manière inquiétante : Faux-Semblants de David Cronenberg, La Part des ténèbres de George A. Romero (d’après Stephen King), Innocents The Dreamer de Bernardo Bertolucci… Ont-ils constitué des sources d’inspiration ?

Pierrette Fleutiaux : Je ne crois pas avoir vu ces films, et d’ailleurs, comme je le disais, ce n’est pas la gémellité en soi qui m’intéresse. La gémellité n’est que le cas extrême de ces rapports noués dans l’enfance…

Parutions.com : Et pourquoi ce titre, Les Amants imparfaits ?

Pierrette Fleutiaux : Ce qui est « parfait » est ce qui est accompli, achevé. Or ces jeunes gens n’ont pas eu le temps de s’accomplir. L’amour entre eux trois est très fort, même s’il ne sait pas très bien où se poser, c’est un peu l’amour à l’état volatil. Le titre renvoie aux trois personnages. Et puis peut-être aussi à la quatrième qui n’arrive pas davantage à maturité dans sa personnalité. Je prends ces jeunes gens avant la maturité, avant que les choses soient installées, figées. C’est d’ailleurs aussi le cas pour l’écriture. Rien ne prédisposait particulièrement Raphaël (l’aîné de ces jeunes) à écrire, sinon qu’il était réservé et pensif, porté à la réflexion, et pourtant c’est grâce à l’écriture qu’il va se réapproprier sa vie après le drame. D’où l’importance de cette scène au début, lorsqu’il est soudain frappé par une phrase anodine entendue par hasard à un colloque littéraire au Mali. Il n’avait que 16 ans alors, et la jeune femme qui parlait de son expérience de romancière n’avait que quelques années de plus.

Parutions.com : Dans votre livre, il nous est montré deux visions de l’écriture. Celle que nous donne cette jeune femme, qui en parle de manière très simple, et une écriture sacralisée, qui nous en éloigne. Est-ce que ça renvoie à votre propre perception ?

Pierrette Fleutiaux : Cela doit certainement renvoyer à des impressions que j’ai éprouvées il y a longtemps. D’un côté il y a la littérature déjà installée, les classiques, dont on ne peut pas se sentir l’égal quand on est un jeune homme ou une jeune fille. De même, quand certains écrivains parlent de leur livre à la télévision ou à la radio ou dans un colloque, surtout les hommes peut-être, il y a un effet d’autorité qui peut être très intimidant pour quelqu’un de très jeune comme mon personnage. Or ce que lui apprend sans le vouloir cette jeune écrivaine, c’est comment ça se passe au tout début. Ce que Raphaël a entendu ce jour-là se logera dans un coin de sa mémoire et il y reviendra dans ses heures sombres. Quant au chemin de l’écriture, c’est à chacun de le trouver tout seul.

Parutions.com : Pour poursuivre sur le sujet de l’écriture, cette activité semble très ambivalente dans votre roman. Tantôt elle paraît dangereuse quand le narrateur écrit pour les jumeaux, tantôt salvatrice quand il la reprend à son propre compte…

Pierrette Fleutiaux : Oui. A 23 ans, ce garçon se met à l’écriture pour reprendre tout ce qui lui a été confisqué par les juges, les avocats, tout ce monde extérieur qui a rendu les choses grossières. Il ne se reconnaît pas dans leurs discours. Ce que ces gens disent n’a rien à voir avec qu’il a vécu avec ses amis, qui était si profond, si grand. Et ça l’oblige à creuser ce qui lui est arrivé, pour rétablir sa vérité. Les jumeaux étaient des êtres très intuitifs qui avaient perçu cette potentialité en lui, celle du don pour l’écriture. D’où, avant le drame et leur mise en examen, leur désir que leur ami écrive tout ce qui leur arrivait, leurs rencontres amoureuses surtout, comme s’ils avaient peur de mourir bientôt. C’est leur très grande culpabilité qui les faisait agir ainsi, culpabilité enfantine et sans réalité en fait. Raphaël, lui, n’en avait guère envie alors. Ecrire, ça lui rappelait le lycée, les devoirs, mais il ne pouvait résister aux jumeaux.

Parutions.com : Raphaël semble « agi » par des forces qu’il ne comprend pas du tout.

Pierrette Fleutiaux : C’est le cas de tout le monde, à un moment ou un autre. Et cette rencontre avec les jumeaux qui a été par certains aspects catastrophique s’est avérée d’un autre côté extrêmement enrichissante pour lui. Il aurait pu rester le petit jeune homme de province un peu renfermé avec sa vie étroite, et là, il a connu une maturation extraordinaire. Et puis il a fait la connaissance de l’amour. C’est une force extraordinaire, et dans son cas, ça fait éclater son monde un peu étriqué. Pour moi, il n’y a rien de morbide ni de pessimiste dans cette histoire. Ce sont des jeunes gens avec des sentiments très forts, et quand les choses sont fortes, ça peut être dangereux.
Hier, j’ai vu une représentante d’une association qui m’a donné un prix il y a 4 ans pour Des phrases courtes, ma chérie. Il s’agit d’un prix très populaire et qui a été important pour mon livre. La personne m’a dit qu’elle avait aimé Les Amants imparfaits, mais que ses collègues l’avaient trouvé trop osé. Qu’est-ce que c’est que ce puritanisme ? Je ne sais pas si ça vient des Etats-Unis, mais ça m’inquiète pour notre société. Il n’y a dans mon livre que des enfants qui ont des difficultés et tentent de s’en sortir à leur façon. Les enfants ont besoin de compréhension et de patience de la part des adultes, ils n’ont surtout pas besoin que les adultes aient peur d’eux !

Parutions.com : Dans le documentaire Mère fille pour la vie, de Paule Zadjermann, vous dites que votre livre précédent, Des phrases courtes ma chérie, où vous parlez des derniers jours de votre mère, a été pour vous une expérience d’écriture différente. Comment avez-vous abordé après cela l’élaboration de ce nouveau roman ?

Pierrette Fleutiaux : Dans le fond, ce que j’ai dit n’était pas vrai. L’écriture, c’est toujours l’écriture. Dès le moment où j’ai posé la première phrase de ce livre (sur la mère, les rapports mère-fille et le vieillissement), tout ce qu’il y avait de personnel a disparu. C’est aussitôt l’écrivain qui se met en place, avec la recherche de l’écriture qui convient, du rythme de phrases qui convient. La différence, je la sentais surtout par rapport à la réception que le livre pourrait avoir auprès du public. A la différence des autres que j’avais publiés, Des phrases courtes, ma chérie se situait entre la fiction et l’autobiographie, le sujet en était austère, je pensais qu’il resterait un peu confidentiel, ce qui n’a pas été le cas.

Parutions.com : Avez-vous eu des influences littéraires pour Les Amants imparfaits ?

Pierrette Fleutiaux : Sûrement, même si je ne m’en suis pas rendue compte sur le coup. Certainement Les Hauts de Hurlevent, par la puissance des sentiments, ou Belle du Seigneur. Et bien d’autres sans doute. Il me semblait aussi retrouver le souffle d’un de mes précédents livres : Nous sommes éternels. Mais d’une certaine façon, toutes ses lectures sont présentes dans chaque ligne d’un écrivain : ce qui a été gardé, ce qui a été éliminé, ce qui s’est développé, et l’étrange entrelacement de tout cela au fond de lui…

Parutions.com : Une adaptation cinématographique des Amants imparfaits est-elle prévue ?

Pierrette Fleutiaux : Pas que je sache. Je pense que cela ferait un film splendide, avec ces trois jeunes gens si beaux dans un appartement qui flotte comme à la dérive à la surface du monde, et aussi tout le contexte très réaliste de la province d’aujourd’hui. Mais aucun projet concret n’est prévu pour l’instant. Récemment j’étais dans un restaurant à Soulac sur l’estuaire de la Gironde, et j’ai eu un choc. Il y avait un jeune couple très beau à une autre table, tout en blanc, avec trois petits enfants blonds très sages. J’ai vraiment eu l’impression de voir les jumeaux Léo et Camille. Ce genre de « reconnaissance » m’est déjà arrivé pour d’autres romans.

Parutions.com : Avez-vous un roman en cours d’écriture ?

Pierrette Fleutiaux : J’ai toujours des projets, des bouts de romans qui s’ébauchent. Mais il faut que ces bribes confuses rencontrent un courant, qu’une énergie se crée. Je voulais faire un livre sur Anne Philipe, la veuve de Gérard Philipe, qui a été très importante pour moi quand j’ai commencé à écrire, mais je ne trouve pas l’entrée pour l’instant. J’ai aussi envie d’écrire sur un savant, Léonce Manouvrier, un de mes ascendants, qui fut un des premiers à dire que les cerveaux des hommes et des femmes étaient identiques, en tout cas pas inégaux. Mais il faut que tout cela mature. Et souvent c’est un tout autre roman qui se présente !

Propos recueillis par Elise Goldberg le 4 septembre 2005
( Mis en ligne le 12/09/2005 )
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