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Littératureet Poches  

Le Bateau d'Emile
de Georges Simenon
Gallimard - Folio policier 2015 /  6.40 €- 41.92  ffr. / 240 pages
ISBN : 978-2-07-046627-6
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Une inquiétante étrangeté

Georges Simenon (1903-1989), le «Balzac du roman policier», a écrit quasiment autant de nouvelles que de romans (158 pour 193). Auteur prolifique et très populaire, son œuvre imposante permet au lecteur indécis de piocher dans sa bibliothèque et de lire un Simenon pour faire éventuellement transition entre deux lectures ! Cette posture est à double tranchant, reléguant l’auteur soit à un statut de seconde zone soit à une relève de bonne qualité.

Cette ambivalence se confirme avec Le Bateau d’Emile (publié en 1954 mais regroupant certains textes des années 1940), recueil de nouvelles plus sordides que policières, plus sociales que judiciaires, toutes évidemment psychologiques. Histoires d’adultères, de rivalités, de meurtres, de solitude également. L’univers de Simenon s'inscrit dans la banalité et la brutalité, confondant la monotonie avec le destin vers une sorte de chaos final... jamais très glorieux. Ouvrant et clôturant le recueil par une histoire de marins (le premier tue sa femme sans que le narrateur révèle la préméditation alors que le dernier conçoit un plan machiavélique sans passer à l’acte), Simenon reste fidèle à son projet romanesque en distillant ses observations anthropologiques chez des personnages de seconde zone, souvent humbles et esseulés.

Dresser un univers assez froid, faire intervenir des caractères a priori sans histoire et les confronter au réel, c’est-à-dire, aux passions, aux rivalités, à l’ambition, à l’argent, etc., jusqu’à un final généralement pessimiste et arbitraire. Chez Simenon, le cadre spatial est souvent un paysage silencieux et terne bien que mélancolique et doté d’une certaine beauté. Le personnage, plutôt banal, s’y inscrit avant de le ternir un peu plus par ses actions maladroites, pathétiques ou tragiques.

Les humains sont des animaux sociaux mais la solitude les déprime et la fréquentation de leurs semblables mène à la jalousie ou au meurtre ! Simenon, en artisan subtil, démultiplie les mêmes thématiques dans des centaines de récits, et fait ce qu’il sait faire. Style épuré voire économique, décor glacial et personnages en souffrance, ces nouvelles rappellent les romans de Simenon mais en plus synthétique. De même que les romans se suivent pour former une œuvre globale, les personnages de Simenon se confondent dans leur petitesse, leur banalité et souvent leur médiocrité. Pas ou peu de réflexion (quand il y en a, elle est maladroite) chez eux mais une manière sanguine de se sortir d’un conflit (qui par là-même créé chez eux une entrée dans un micro-destin, même tragique).

Ce recueil, assez inégal du reste, n’est pas le plus populaire du créateur de Maigret. Il se lit non sans plaisir mais laisse un goût d’inachevé, comme si l’auteur s’en était quelque peu débarrassé. Il en ressort un climat assez froid et une morale toujours cinglante. L’homme est prisonnier de son destin, et quand celui-ci n’apparait pas d’emblée, une affaire terrible vient le libérer du néant, la plupart du temps pour ruiner son protagoniste !

Et Simenon, en auteur masqué, de rire jaune devant l’incapacité de ses créatures...

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 18/12/2015 )
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