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Littératureet Poches  

Revenir à Vienne
de Ernst Lothar
Liana Levi - Piccolo 2020 /  13 €- 85.15  ffr. / 540 pages
ISBN : 979-10-349-0297-2
FORMAT : 12,0 cm × 17,8 cm

Première publication française en mai 2019 (Liana Levi)

Elisabeth Landes (Traducteur)


Heimweh

Ce roman largement autobiographique fut publié en Autriche en 1949 et est traduit aujourd’hui en français. Ernst Lothar est contemporain de Stefan Zweig et Arthur Schnitzler. Juif, il quitte l’Autriche en 1938, lors de l’Anschluss, l’annexion de sa patrie par l’Allemagne, les nazis étant triomphalement accueillis dans les rues de Vienne.

Le personnage principal, Felix von Geldern, jeune juriste, fuit lui aussi en Amérique en 1938, pour ne pas devenir allemand, avec toute sa famille de banquiers - sauf sa mère - et une fortune confortable. Ils adoptent la nationalité américaine. A New-York, contrairement à ses oncles, tantes et grand-mère qui louent à l’année une chambre au Plaza, il vit chichement comme vendeur dans une grande librairie. En 1946, sa famille l’envoie en Europe pour quelques semaines, récupérer les filiales des banques dont elle a été spoliée. Mais l’Europe est en morceaux, détruite. Il revient chez sa mère à Vienne qui vit pauvrement, conséquence de son engagement nazi.

Une ancienne fiancée, chanteuse lyrique fière de ses convictions, et qu’il croyait morte, ressurgit et il l’épouse. Mais cette femme a survécu grâce à la fréquentation des nazis et à sa relation intime avec Goebbels. Felix lui fait prendre conscience de sa déchéance et de son mauvais choix ; il la pousse au suicide ; elle s’immole par le gaz. Pour Félix, c’est un déchirement, le climat est lourd de compromissions et quand il faut régler les comptes, les vérités sont insupportables.

Vienne est sous les décombres, occupée par les Alliés. Les Viennois, affamés, misérables, cohabitent avec les Américains dont l’opulence les révolte, et voient d’un mauvais œil l'arrivée des survivants des camps. La réconciliation est impossible, les blessures de la guerre ne sont pas refermées. Felix, fier d’être Autrichien en arrivant, se repent ensuite de son patriotisme quand il apprend le rôle joué par son pays pendant la guerre. Hitler n’est-il pas né autrichien ?... Il est déchiré entre la nostalgie de son pays natal (Heimweh), la musique, cet art de vivre élégant et cultivé, celui de ses amis, et la modernité, la simplicité de l’Amérique, cette soif de modernité, sans préjugés, ainsi que la culpabilité de l’exil. Felix, bien qu’américain, reste viennois dans l’âme, à la fois fier et honteux.

Le roman pose douloureusement la confrontation entre un empire d’hier démembré en 1918 et une nation jeune, conquérante et moderne. L’Autriche a perdu tous ses repères en se jetant dans les bras des nazis ; après la guerre, le pays se pense en victime, ce qui provoque chez le jeune homme un mélange d'amour et de haine envers des compatriotes qu’il ne reconnaît plus.

«Entre son départ et son retour sans compter le temps des voyages, il avait passé trente six jours à Vienne. Il avait l’impression d’avoir brûlé toute sa vie en trente six jours. Il avait peine à croire qu’il était parti huit semaines plus tôt. Ces huit semaines lui semblaient aussi longues que huit ans». Ernst Lothar a dû vivre dans sa chair cet antagonisme et les ravages que peut entraîner une guerre quand on est juif. Stefan Zweig ne l’a pas supporté et s’est suicidé au Brésil où il s’était exilé.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 05/10/2020 )
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