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Littératureet Récits  

L'Irrégulière - Ou mon itinéraire Chanel
de Edmonde Charles-Roux
Grasset 2009 /  20.90 €- 136.9  ffr. / 588 pages
ISBN : 978-2-246-01112-5
FORMAT : 14cm x 22,5cm

L'Esseulée

Alors que, encore jeune, elle revit actuellement sur grand écran, ici dans son idylle avec Boy Capel sous la surveillance jalouse d'Etienne Balsan (Coco avant Chanel d'Anne Fontaine), là avec Igor Stravinsky (Coco Chanel & Igor Stravinsky de Jan Kounen), un retour par le texte s'impose. Les éditions Grasset ne s'y sont pas trompées en rééditant la biographie de «Mademoiselle» par Edmonde Charles-Roux, publiée pour la première fois en 1974, trois ans après la mort de l'impératrice de la mode.

Car Chanel a tout de l'impératrice : le charisme, la cruauté, la soif de pouvoir et la profonde solitude ; le règne, incontestable, enfin... Plus qu'une «irrégulière» (non au sens de l'inconstance mais comme maîtresse/concubine/entretenue, qu'elle fut souvent...) c'est d'une solitaire qu'il faudrait parler, et même plus, d'une esseulée : abandonnée par son père, quittée par ses nombreux amants et amis, qu'il s'agisse de mort ou... de la vie - Arthur Capel donc (la rue Cambon et les boutiques de Deauville et Biarritz, c'est lui), mais aussi le poète Pierre Reverdy, peut-être sa seule âme-soeur, le Grand-duc Dimitri Pavlovitch de Russie (le flacon du n°5, ce serait lui) ou le Duc de Westminster -, quasiment veuve de Misa Sert en 1950, Chanel fut cette femme seule, parvenue à la gloire par un mélange de talent, de volonté, d'arrivisme (beaucoup) et de malhonnêteté... aussi.

Edmonde Charles-Roux ne cède ainsi pas au réflexe hagiographique : la sainte patronne de la mode est un ange déchu, dont l'épisode collaborationniste pendant la Deuxième Guerre mondiale (maîtresse du SS Von D. - Hans Gunther Von Dincklage -, elle est même missionnée par le IIIe Reich en Angleterre...) illustre une des pages les plus sombres de son existence. Mais Chanel fut aussi un extraordinaire phénix, dont la renaissance dans les années 50 installe un empire de la mode dont le rayonnement s'est poursuivi jusqu'à nos jours. Un portrait où la lumière n'est donc rien sans sa part d'ombre, cultivée par Coco elle-même.

Le portrait de la femme avant celui de la styliste. Si Edmonde Charles-Roux n'oublie pas de remarquer les influences ni de signaler les grands tournants, les révolutions même, que la couturière imposa dans le monde – la haute société française -... et à travers le monde (la planète succombe... jusqu'à cette première dame américaine au tailleur griffé... et taché du sang de son époux assassiné), la biographie prend le temps de fouiller une existence entière, des racines cévenoles jusqu'aux tréfonds d'un caractère compliqué.

On peut donc ne pas aimer la mode, ni vraiment tenir à tout savoir sur Gabrielle Chanel : c'est toute une époque qui sourd à chaque page, des milieux, leurs sociabilités, dépeintes à l'envie par un écrivain qui est du sérail et qui écrit donc aussi en mondaine avertie. C'est plaisant et suffisamment suranné pour charmer le lecteur. Nous sommes ici entre Versailles et Voici, une ultime illustration de ce que Daniel Halévy appela la «fin des notables». Quant au style, d'un classicisme lui aussi démodé, il en devient oxygène pour le lecteur exigeant, que les publications actuelles, au Français malmené, mal connu, mal maîtrisé, fatiguent le plus souvent. Une autre raison de retourner au texte, n'en déplaise à mesdemoiselles Tautou et Mouglalis.

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 29/05/2009 )
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